Nicolas Roux : « Le maître mot sera la solidarité »

Crédit photo Zoé Soullard - DirectVelo

Crédit photo Zoé Soullard - DirectVelo

Le Team Pro Immo Nicolas Roux, fort de ses huit victoires en un mois, partait pour une grande saison 2020 (voir ici). Son sponsor titre, Nicolas Roux, fait partie des entreprises touchées par la crise du coronavirus. Sur le plan sportif, d’une part, mais aussi sur le plan économique. Faut-il être inquiet pour le cyclisme, comment prévoir la suite… L’ancien coureur répond aux interrogations de DirectVelo.

DirectVelo : Comment vis-tu cette période à titre personnel ?
Nicolas Roux : Je continue à travailler, même si on est obligé de travailler différemment. L'agence immobilière est à l'arrêt, les chantiers reprennent un peu mais doucement. C'est mieux que si on était malade, mais ce n’est pas extraordinaire comme situation. Il faut se serrer les coudes, car il y aura des perdants, plus ou moins gros. Le virus ne va pas partir en trois minutes, ça va être long. Sur le vélo, on était très bien parti, en récupérant des coureurs comme Clément Carisey, Karl-Patrick Lauk… On a des coureurs qui pouvaient prétendre passer pro en 2021. Tout tombe à l'eau, car je me pose des questions sur la reprise.

C'est-à-dire ?
Si le Tour de France est annulé, je nous vois mal courir en septembre. Personne ne le sait, les médecins nous en diront plus. Quid de la Fédé qui gagnait de l'argent sur les compétitions ? Les coureurs salariés, comme nos DS, ont le droit au chômage. Ils sont indemnisés, mais ceux qui souhaitaient gagner un peu avec les courses et la fédé doivent garder le moral. Les partenaires veulent bien donner un peu, mais est-ce qu’eux même vont faire du bénéfice ? Ils ne le savent pas et ça remet tout en cause. Il y a beaucoup de questions, et très peu de réponses. C'est dommage, quand on veut organiser quelque chose... Cette situation inédite fait réfléchir.

« LES PAUVRES COUREURS N'Y PEUVENT RIEN »

Et en tant que sponsor ?

Au niveau du club, on avait tout structuré avec un budget dédié aux élites. L'argent permet d'avoir de bons coureurs dans l'équipe, mais aujourd'hui tout est compliqué, ça va laisser d'énormes traces. C'est le flou. Personne ne va en sortir gagnant. Certaines équipes n'existeront plus, amateurs comme pros. Des pros vont redescendre et ceux qui voulaient passer pro auront des difficultés à le faire. C'est une période catastrophique pour le sport. Il y aura un peu moins de sous mais ce n’est pas si grave, il y a toujours plus malheureux. Avec Jean-Philippe Duracka, on se connait depuis 40 ans. Je lui ai toujours dit que quand on démarre, on finit. Castellarnau, Lauk, Carisey... Ce sont des garçons généreux, agréables, sympas. Quand on les prend, ce n’est pas pour leur dire en avril ou en mai qu’on a un souci. On gère pour que ça aille bien, il faut arrêter de dire que ce n’est pas de notre faute, que pour X raisons, ils n'auront pas de sous.

Tu fais tout pour qu'ils ne soient pas impactés financièrement...
Il y a des problèmes tous les jours. On se bagarre contre des aléas, il faut les prévoir. Quand on prévoit 300 000 euros de budget, il vaut mieux prévoir 350 000 pour anticiper ces aléas. Donc on terminera la saison, même si j'ai un souci, comme tous les clubs. La région et les collectivités nous avaient promis une certaine somme, ils la donneront. Après, c'est beaucoup plus problématique pour le sponsoring privé. Ceux qui n'aideront pas, c'est parce qu'ils ne pourront pas le faire et ça ne brouillera pas nos relations pour autant. Les pauvres coureurs n'y peuvent rien, et moi non plus. Mais quand on ouvre une structure, on ne doit pas faire prendre de risques à ceux qui nous font confiance. On respectera tout ce qu'on avait prévu au départ. 

« ON VERRA CE QUE LA SOLIDARITÉ VEUT DIRE »

Cette période remet-elle en cause ton partenariat futur ? 

Aujourd'hui, on n’a même pas la certitude qu'on pourra courir normalement en 2021. Si on peut faire une saison normale, on se tournera vers les coureurs pour savoir qui veut repartir. Ce sont eux qui jouent leur carrière. Carisey voulait repasser pro, Guichard - qui est opticien - voulait prendre une année sabbatique pour être sur le vélo à 100%. Comment vivront-ils tout ça ? Si on peut recourir normalement en fin d'année et pour la suite, on ne va pas tout couper. Pour moi ça ne changera pas grand-chose, mais je pense qu'il va encore se passer des choses en 2020...

À quoi penses-tu ?
Est-ce que les gens avec qui on travaille ne vont pas arrêter en août parce que le tourisme ne repart pas ? Tout ça peut créer des réactions en chaîne. Il faut être serein malgré tout. Je reste optimiste. Mais on ne va pas trop la ramener car ça peut aller vite. Tout ce qui est en train de se passer ne s'effacera pas comme ça, il y aura des traces. On va voir ceux qui ont envie d'aider, de s'investir, et ceux qui profitent de la situation. Il y aura probablement de tout. J'espère qu'on sera nombreux à bosser pour la solidarité, et là on verra ce que la solidarité veut dire. Mais ça ne peut qu'être compliqué.

« C'EST UNE GRANDE FAMILLE »

Échanges-tu régulièrement avec tes coureurs depuis le début de cette crise ?
Oui. Il n’y a aucune barrière avec les coureurs, on s'appelle, c'est très souple. Sur Facebook, je leur envoie des petits messages, je ne les laisse pas tomber, je pense à eux. Par exemple, Lauk faisait du vélo avec Laas en Estonie car ils peuvent rouler, et ils nous partagent des petites photos. On plaisante, on discute. Eux ne savent pas du tout ce qu'ils doivent faire, beaucoup de home-trainer ou pas. Pouvoir refaire du vélo dehors en France va déjà faire beaucoup de bien à tout le monde. Ils sont en bonne santé, vivent bien, donc on fera en sorte de passer cette période le moins mal possible. C’est une grande famille, jusqu’aux mécaniciens etc. Chaque coureur est prêt à sacrifier sa course pour le copain. Je ne supporterais pas un idiot "moi je". Le point commun de tous ces gars, c'est qu'ils sont sympathiques.

On imagine qu'ils sont également en lien avec Jean-Philippe Duracka...
Jean-Philippe a toujours dit à ses coureurs de se tenir prêt à repartir. On n’est pas dans l'optique de dire ; "fin de saison, année 2020 fichue. On peut prendre des kilos et on verra". Il les tient prêt. Carisey a fait 160 kilomètres de home trainer récemment. Tout le monde reste motivé et ça ne sert à rien de baisser les bras. On aura bien la possibilité de faire quelque chose, même si rien n'est sûr. On fait comme si des courses pouvaient avoir lieu. Ils ont fait un très bon début de saison et j'espère qu'on pourra refaire un bon deuxième début de saison.

« LA FÉDÉRATION NE DÉCIDERA PAS GRAND-CHOSE »

Es-tu inquiet pour la suite ?
Bien sûr qu'on est très inquiet, on ne sait pas ce qu'il va se passer. Il y a l'aspect pro, haut-niveau, associatif… Comment l'associatif va pouvoir s'en sortir ? Quels bénévoles voudront encore bosser ? On est bénévole quand tout va bien, mais quand c'est difficile et qu'on a des difficultés de boulot, on met le bénévolat de côté. Et le mécénat, qui marche pas mal pour les petits clubs ? Comment ça va se passer ? Encore une fois, le maître mot sera la solidarité. Il ne faudra pas compter le temps et l'argent pour aider les autres, sans contrepartie et médaille à la fin. Obligatoirement, des clubs ne s'en remettront pas, notamment des prestigieux. Les autres ne sont pas toujours mieux vernis que nous. Il y aura plus de morts de clubs que de créations de clubs. Pour tout un tas de jeunes, ça fait un an de perdu. Certains vont lâcher prise et peut-être passer à côté d'une belle carrière. Tout le monde va être impacté. C'est un tsunami qui a tout mis par terre. Dans ma structure, je leur ai dit qu'on devra se serrer les coudes.

Beaucoup évoquent déjà une "saison blanche" et semblent ne plus du tout y croire. Pourtant, il est tout bonnement impossible d'affirmer quoi que ce soit à l'instant-T... 
Comment peut-on annuler le football, les Jeux Olympiques, Roland-Garros, Wimbledon... Tout bloquer jusqu'à fin août en bref, et faire partir un peloton de 200 coureurs sur le Tour de France, si le virus n'a pas disparu ? Il y a tout un tas d'étrangers qui vont venir de partout... Est-ce que les frontières seront ouvertes ? Et avec les millions de gens sur le bord des routes, les kinés pour donner les bidons, etc. Si l'épidémie est encore présente, comment va-t-on faire. Inversement, si le Tour est annulé, on ne va pas faire courir une course 3e catégorie avec 120 coureurs... Au milieu de tout ça, la Fédération ne décidera pas de grand-chose. C'est le gouvernement qui va décider. Ce n’est pas bien réjouissant, une année sans sport. Le milieu du vélo n’était pas le plus riche, alors attention aux répercussions. Ceux qui le pourront, devront sauver ce qui est sauvable. Et ce ne sera pas le moment de jouer petit bras, en se disant ; "allez on se retire parce qu'il y a moins d'exposition". Sur 2021, il faudra jouer collectif et solidaire. 10 000€, c'est peut-être pas beaucoup tout de suite, mais un an après, ça peut compter pour sauver quelque chose.

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