Evita Muzic, l’ambition sans la pression
C’est le grand moment pour Evita Muzic. Après une blessure au genou qui l’a contrainte à passer par la case opération à l’intersaison (lire ici), la Franc-Comtoise est parvenue à très vite retrouver un excellent coup de pédale depuis sa reprise. Un acharnement et une course après le temps qui lui valent désormais d’arriver, a priori, dans la meilleure des conditions physiques au départ du Tour de France, qui plus est avec une fraîcheur physique et mentale que n’ont peut-être pas certaines de ses adversaires. “Evita, je la connais depuis qu’elle est toute jeune car je l’avais avec moi au comité de Franche-Comté dès les Cadettes puis à Morteau lorsque j’y étais DS. Elle a toujours connu une progression linéaire et elle n’a pas souvent eu d’accrocs, jusqu’à cette blessure l’hiver dernier. Malgré ça, elle est parvenue à passer un nouveau cap cette saison”, se félicite Flavien Soenen, son entraîneur au sein de la FDJ-Suez-Futuroscope. “Apprendre à gérer une situation négative lui a permis de grandir encore. Une carrière n’est pas faite que de hauts et de bons moments. Elle est revenue de cette épreuve encore plus forte”, ajoute-t-il.
Physique frêle, visage de poupon, l’ancienne Championne de France Élites - sacrée l’an passé - n’en a pas l’air au premier abord mais elle peut s’avérer être redoutable de puissance et d’efficacité sur les terrains accidentés et montagneux. Et comme l’assurent ses proches, elle a du tempérament. “Elle est relativement discrète, et très gentille, parfois presque trop (sourire). Cela dit, elle a quand même sa part de caractère, elle sait ce qu’elle veut”, témoigne son compagnon, Eddy Finé, coureur professionnel chez Cofidis. “Elle marche beaucoup à la confiance. Quand elle prend conscience que les jambes tournent bien, elle peut vite prendre confiance, justement. C’est une fille qui ne lâche rien, elle s’accroche tout le temps. Elle sait ce qu’elle veut”.
« J’AI ÉTÉ TRÈS EXIGEANT AVEC ELLE, DEPUIS QU’ELLE EST TOUTE PETITE »
Le père d’Evita Muzic, Thierry, appuie cette description des traits de caractère de sa fille et souhaiterait d’ailleurs la voir s’affirmer davantage. “Il faut qu’elle s’ouvre, qu’elle n’ait pas peur de demander, d’expliquer, de dire quand quelque chose ne lui convient pas. Le vélo et le sport de haut niveau sont des mondes de requins. Il faut montrer les dents sinon on se fait manger. Cela étant, au-delà d’être réservée et discrète, c’est aussi une fille orgueilleuse”. Lui-même cycliste, Thierry a très vite mis Evita sur un vélo. Et, par le passé, il lui en a parfois fait voir de toutes les couleurs. “J’ai été très exigeant avec elle, depuis qu’elle est toute petite. Peut-être trop. Je lui ai mis pas mal de pression et d’ailleurs, on m’a critiqué pour ça. Je lui en demandais toujours plus, c’est vrai, et avec le recul c’était peut-être une erreur, concède-t-il auprès de DirectVelo en retraçant le parcours d’Evita. D’un autre côté, elle dit elle-même que sans cette exigence, cette rigueur, elle n’en serait peut-être pas là aujourd’hui… Mais je reconnais que ça n’a pas toujours été facile pour elle. Ce qui est sûr, c’est qu’elle n’a jamais lâché et qu’elle mérite d’être où elle est aujourd’hui. Et tout le mérite lui revient. Comme je lui ai toujours dit, c’est elle qui pédale”.
Thierry Muzic se souvient y avoir été “petit à petit” avec sa fille. “En étant sérieux mais je l’ai toujours surprotégée pour ne pas qu’elle en fasse de trop et qu’elle garde une grosse marge de progression”. Un travail de longue haleine auquel a donc également contribué Flavien Soenen. “Elle bosse un peu plus tous les ans. On avait un plan établi sur le long terme avec des charges de travail amenées à augmenter au fur et à mesure. On peut toujours avoir envie d’aller plus vite mais je pense que l’on peut être heureux du travail accompli car on est arrivés au stade où elle se bat avec les meilleures mondiales”. Eddy Finé tient à souligner l’importance des parents d’Evita - photo ci-dessus - dans sa carrière sportive. “Son père l’a beaucoup aidée, il l’a emmenée de partout. Sa maman également, il ne faut pas l’oublier même si l’on parle beaucoup du papa. Ils sont tous les deux impliqués à fond dans le vélo, pour elle”.
« EVITA N’AURA PAS LA PRESSION D’UNE FILLE QUI JOUE LE GÉNÉRAL »
Depuis toute jeune, Evita Muzic a été habituée aux succès, en cyclo-cross comme sur la route, avec notamment des titres nationaux dans les différentes catégories d’âge. “Elle a toujours réussi à jouer les premiers rôles sur certaines courses et même à gagner, tous les ans. Cette année, elle l’a fait sur la Grésivaudan. Ce n’était pas le niveau WorldTour mais il fallait quand même aller la gagner. Elle s’est toujours débrouillée pour en claquer au moins une”, souligne Flavien Soenen. Ces dernières semaines, la grimpeuse est montée en puissance mais a tout de même connu des hauts et des bas sur les routes du Tour d’Italie, où elle a été affaiblie physiquement à l’abord des toutes dernières journées de course. “Elle est arrivée à mi-Giro avec un peu de fatigue mais il n’y a pas de panique, c’était planifié comme ça”, rassure Flavien Soenen. “Elle a fait un bon Giro, sans avoir les sensations espérées mais l’objectif principal reste le Tour de France. Je suis confiant pour elle”, promet Eddy Finé.
Place donc maintenant au Tour de France, où la FDJ-Suez-Futuroscope va aligner un groupe qui ferait rêver bien des directeurs sportifs. Sur le Tour d’Italie, les filles de Stephen Delcourt se sont battues pour faire monter leur leader, Marta Cavalli, sur le podium. Un objectif atteint. Il se pourrait désormais que les rôles s’inversent et que la Danoise Cecilie Ludwig prenne le leadership au sein de la WorldTeam pour le Tour. Le tout avec Evita Muzic en qualité d’équipière de luxe et de troisième lame du rasoir, capable de jouer un rôle majeur également. “Evita n’aura pas la pression d’une fille qui joue le général, contrairement à Juliette (Labous) chez DSM côté français. Elle doit en jouer même si ça ne l’empêche pas d’être ambitieuse”, juge Flavien Soenen, tout en rappelant qu’il est entraîneur et qu’il n’a bien sûr aucun rôle à jouer dans les choix tactiques de la direction sportive. “Evita aura quand même un peu de pression avant la course, c’est normal. Mais je pense que ce sera surtout sur les 48 heures qui vont précéder le début du Tour. Une fois que la course sera lancée, ça ira mieux. Il n’y aura pas de problème, déclare Eddy Finé. Elle prendra la course comme n’importe quel autre rendez-vous du calendrier”. De son côté, son père est persuadé que le fait qu’elle ne soit pas leader de sa formation pour ce premier Tour de France “la soulage”, bien qu’il se pourrait sans doute, dans la logique des choses, qu’elle soit amenée à avoir de plus grandes responsabilités dans l’équipe à moyen termes.
« ELLE A APPRIS À VIVRE AVEC ÇA MAINTENANT »
Evita Muzic évite donc au maximum de se mettre la pression. Mais elle sait bien qu’elle s’apprête à vivre un événement pas comme les autres. La Franc-Comtoise installée à Grenoble a d’ailleurs déjà eu l’occasion de mesurer l’impact du Tour de France, au moins partiellement, ces dernières semaines. “Elle a eu bien plus de sollicitations que jusqu’à présent. Elle a même été obligée de refuser certaines demandes de la presse, ce qui n’était jamais arrivé jusque-là. Mais elle avait besoin de souffler un peu, de couper. Cela dit, elle a pris de l’envergure et elle sait que ça fait aussi partie du métier. Elle a appris à vivre avec ça maintenant”, assure Eddy Finé. “Les tournages et autres sollicitations médiatiques, ce n’est pas ce que je préfère mais ça fait partie du jeu, et du job”, s’est d’ailleurs plusieurs fois amusée la principale intéressée auprès de DirectVelo. Très prise par la préparation du Tour, Evita Muzic n’a d’ailleurs pas eu l’occasion de passer énormément de temps en famille, ni avec son compagnon, ces dernières semaines. “Parfois, on ne se voit pas pendant un bon moment. Ou alors on se croise très vite quand l’un rentre à la maison et que l’autre repart en stage, en course ou autre. Au moins, ça évite les débats pour la vaisselle même si de toute façon, c’est très souvent moi qui m’en occupe !”, rigole Eddy Finé.
Pour la 2e du dernier Tour de Burgos, la vaisselle n’est en revanche plus un sujet avec son père, avec qui elle se livre en revanche à des… paris sportifs. “On a un petit jeu entre nous. Le soir, quand elle est sur une course, je lui envoie toujours un SMS avec mes prédictions pour le lendemain et le nom de la vainqueure. Elle fait la même chose et on voit ensuite qui avait raison… Ou pas”, sourit Thierry Muzic. Comme l’ensemble des proches d’Evita Muzic, il rêve de la voir briller - et pourquoi pas même triompher - sur les hauteurs de la Super Planche des Belles Filles, dimanche 31 juillet prochain, pour le bouquet final de l’épreuve. Mais suivant le déroulé des sept journées précédentes et le positionnement de Cecilie Uttrup Ludwig ou de Marta Cavalli au classement général, la jeune femme de 23 ans aura peut-être bien un tout autre rôle à jouer sur cette étape décisive.
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