Tadej Pogacar, « stupide » et stupéfiant
C’est une démonstration supplémentaire, un nouveau moment d’histoire, qui devrait épater et surprendre. Mais est-on encore surpris ? Ce dimanche, Tadej Pogacar a ajouté une course majeure de plus à son (déjà) immense palmarès en décrochant le maillot arc-en-ciel, lors du Championnat du Monde sur route de Zurich, en Suisse. Une fois encore, le Slovène ne s’est pas contenté de gagner, il a affolé les statistiques et réalisé un numéro rarissime en attaquant à 100 bornes de l’arrivée, passant 90 km à l’avant de la course dont les 51 derniers tout seul. Après Eddy Merckx (1974) et Stephen Roche (1987), il est le troisième homme à réaliser le triplé Giro, Tour et Mondial sur une année civile. Le tout en ayant aussi remporté les Strade Bianche, le Tour de Catalogne, Liège-Bastogne-Liège et le GP de Montréal.
“Lorsque j’étais gamin, je ne rêvais même pas de porter ce maillot un jour. J’espérais juste pouvoir participer à un Mondial ou à un Tour de France. Le simple fait d’être sur la ligne de départ m’aurait ravi. Mais me voilà avec l’arc-en-ciel !”, se réjouit le nouveau Champion du Monde. Jusqu’à présent, Tadej Pogacar assure qu’il n’avait “jamais pu véritablement préparer un Mondial” pour diverses raisons. Mais cette fois-ci, toutes les planètes semblaient alignées pour décrocher la médaille d’or. “Le parcours me convenait bien et j’ai pu spécifiquement préparer ce rendez-vous, pour une fois. C’est un rêve qui se réalise”.
UNE SUCCESSION D'IMPRÉVUS
Habitué aux numéros en solo, l’athlète de 26 ans assure qu’il n’avait pas anticipé une attaque si précoce ce jour. “C’était stupide, c’est tout. Je n’aurais pas dû attaquer aussi tôt”. Mais alors, pourquoi l’avoir fait ? Parce qu’il a paniqué de voir un tel groupe à l’avant et/ou qu’il sentait que son équipe était en train de fléchir, comme l’a supposé Mathieu Van der Poel (lire ici) ? “Tu ne décides pas de faire un truc stupide. Quand tu es stupide, tu fais un truc stupide sans y penser avant. Et c’est d’ailleurs pour ça que c’est stupide, c’est le principe”, lâche-t-il en faisant rire quelques journalistes présents au sein du Palais des Congrès, où se tenait la conférence de presse.
Toujours est-il qu’après “l’excellent travail” de ses (autres) “fantastiques” compatriotes, Tadej Pogacar a pu compter sur l’appui précieux de Jan Tratnik, qui s’est intelligemment laissé décrocher de l’échappée. “Jan s’était porté à l’avant non pas pour anticiper mon attaque mais car il a suivi un mouvement de course important. Mais initialement, ce n’était pas prévu qu’il soit dans une échappée. Finalement, heureusement que c’était le cas car il a été d’une aide précieuse. Il m’a ramené sur l’avant et a ensuite bien travaillé pour maintenir l’écart”. Avec un groupe des favoris qui est longtemps resté pointé à moins de 50 secondes. “Sur un Mondial, avec une telle distance et ce type de circuit, 30-40 secondes, c’est vite beaucoup. On ne les reprend pas si facilement”.
ET MAINTENANT, LE QUADRUPLÉ EN LOMBARDIE ?
Pour autant, Tadej Pogacar a décidé d’en remettre une assez vite, à 70 km de l’arrivée, s’isolant ainsi avec Pavel Sivakov, son habituel coéquipier chez UAE et donc dernier rescapé de ce mouvement initial. “J’étais heureux de l’avoir avec moi pendant un tour. C’était plus facile de tourner à deux”. Mais il a tout de même fini par se débarrasser du Français pour s’offrir cinquante kilomètres seul à l’avant, acclamé par une foule massive dans chacune des petites ascensions dispatchées partout sur le parcours suisse. “Je me suis tiré une première balle dans le pied en sortant seul en contre si loin de l’arrivée. Puis une autre balle dans l’autre pied en m’isolant très vite aussi. Mais bon… Il y avait quand même une chance que ça le fasse. Je n’ai jamais abandonné, j’ai tout donné jusqu’à la ligne et au final, c’est une journée incroyable”.
Comme toujours ou presque, l’homme aux désormais 86 victoires chez les pros - il n’a que 26 ans - s’est amusé, sans calculer. Malgré une stratégie plus qu’hasardeuse et la qualité d’un groupe de contre où se trouvaient notamment ses deux principaux rivaux Remco Evenepoel et Mathieu Van der Poel, il a plané sur Zurich comme il l'aura déjà fait au moins une fois sur la quasi-totalité des plus prestigieuses courses du calendrier. “Stupide” et stupéfiant. Ou pas, ou plus. Et dire que ce n’est sans doute pas terminé. Triple tenant du titre au Tour de Lombardie, il visera très probablement le quadruplé dans quinze jours, avec cette fois-ci et pour la première fois, le maillot arc-en-ciel de Champion du Monde sur les épaules. "J'ai envie de montrer le maillot dès la fin de saison". Qui donc serait surpris de voir le Slovène filer à 40, 80, 120 - et plus si affinité - bornes de l’arrivée pour repousser encore et toujours les limites du possible et de l’imaginable ? Sans doute plus grand-monde.