La Grande Interview : Les meilleurs moments

Depuis le début de l'année, chaque jeudi vous avez rendez-vous avec la Grande Interview consacrée à un coureur ou à un directeur sportif du peloton amateur.

Alors que la saison routière tire à sa fin, c'est le bon moment pour donner un coup d’œil dans le rétro et retrouver six extraits des Grandes Interviews de cette année. Pierre Lebreton (Team Peltrax-CS Dammarie-lès-Lys), Douglas Dewey (Team U Nantes Atlantique), Edouard Lauber (CC Etupes), Lilian Calmejane (Vendée U), Nicolas Boisson, et Jérémy Maison (VC Toucy)

Pierre Lebreton -20 mars- (Lire ici)

DirectVelo : Tes études de médecine t'ont-elles apporté un avantage dans la connaissance de ton corps ?
Paradoxalement, non. Je roule sans m'intéresser à ma fréquence cardiaque, je contrôle seulement mon poids. Sur la supplémentation en vitamines, je ne suis pas très calé. Jamais de prise de sang pour surveiller mon fer ou d'autres paramètres. Je ne prends aucun complément alimentaire, à part de la levure de bière. Peut-être que certains coureurs ont davantage de gélules de confort dans leur trousse que de pâtes de fruits. Je ne les juge pas, mais moi je veux pas faire ça. Même un cachet pour dormir, je n'en voudrais pas. Trop peur de m'accoutumer...

Un « médecin » dans le peloton, c'est quand même une cible facile pour les plaisanteries ?
On fait parfois des blagues dans mon dos, quelques fois on me chambre en face. Mais j'ai du répondant ! Est-ce que je vais user de mon droit de prescrire ou me servir dans la pharmacie de l'hôpital ? Si c'était le cas, j'aurais d'autres résultats depuis longtemps !

Il y a aussi le mythe des étudiants en médecine qui prennent des médicaments pour tenir la cadence de la scolarité...
Ce n'est pas un mythe. Certains le font. Moi-même, il m'est arrivé la première année de prendre du Guronsan [le fameux mélange à base de caféine, vitamine C et sucre, par ailleurs non interdit par les instances antidopage, NDLR] mais sans ressentir vraiment d'effets. J'ai très vite arrêté parce que, cette fois encore, j'avais peur de l'accoutumance. Quand on est fatigué, il vaut mieux boire un café. Ou mieux : se reposer.

Douglas Dewey -le 27 mars- (Lire ici)

Pourquoi as-tu commencé le cyclisme à dix-huit ans ?
Le cyclisme est devenu un sport attrayant en Grande-Bretagne, avec Froome, Wiggins et Cavendish. Mais ce n'est pas ce qui m'a décidé. J'avais testé plusieurs sports auparavant : tennis, cricket, football... Mais j'étais moyen partout. Mon frère m'a initié au VTT et ça m'a plu. C'est ainsi que je me suis mis à la route et à la compétition. A dix-huit ans, je reconnais que c'est assez tard.

Est-ce un problème d'avoir commencé « tard » ?
Si j'avais commencé un an plus tôt, j'aurais peut-être pu entrer dans le système de formation de British Cycling, l'Academy réservée aux coureurs Espoirs. Quand je suis devenu Champion de Grande-Bretagne Espoirs du contre-la-montre devant plusieurs gars de l'Academy, j'ai discuté avec l'entraîneur national. Mais j'avais déjà 22 ans. Je n'ai jamais fait aucune course en sélection de Grande-Bretagne. Depuis le départ, je me suis débrouillé en-dehors du système. Et maintenant, je dois faire la guerre avec les jeunes si je veux passer pro !

Tu es donc parti en Belgique ?
Mon club anglais avait un partenariat avec la Belgique, donc j'ai couru la fin de saison 2011 avec Terra Footwear-Bicycle Line. Je vivais près de Courtrai, au cœur du cyclisme belge mais aussi un peu au milieu de nulle part. Nous n'avions pas d'autres distraction que le vélo. C'était efficace ! J'ai prolongé avec l'équipe pour une saison complète, grâce au soutien du Dave Rayner Fund [un organisme caritatif qui finance les jeunes coureurs britanniques expatriés. David Millar, Dan Martin ou Adam Yates ont entre autres bénéficié de ce programme, NDLR.]

Tu sembles t'être bien adapté au cyclisme flamand : début 2012, tu t'es imposé sur Gent-Staden...
Encore une fois, j'ai gagné en réalisant un contre-la-montre, dans les vingt-cinq derniers kilomètres ! Le cyclisme flamand, c'est quelque chose ! [il rit] Comme le terrain est plat, il faut saisir la moindre opportunité pour faire la différence. Les gars sont très nerveux et attaquent sans arrêt ! Dès le kilomètre zéro, c'est la guerre. Mais au moins, tu apprends à courir !

Edouard Lauber -le 8 mai- (Lire ici)

Qui sont ces vainqueurs que tu apprécies tant ?
Des gars à l'ancienne. Des coureurs du CC Etupes de la grande époque ou plus récemment Fred Talpin, du VC Caladois (lauréat de l'épreuve en 2013, NDLR). Ce sont des attaquants, ils ne calculent pas trop, et ils s'imposent en costaud.
 
Tu t'es inspiré de leur style pour inscrire ton nom au palmarès ?
Je cours vraiment comme une b... ! Dans ces cas-là, soit on est au-dessus du lot, soit on se couche. Le risque, c'est de perdre des courses qu'on devrait gagner mille fois. Il faut accepter de perdre des courses. Pour ma part, je ne sais pas faire du vélo autrement. Pierre Bonnet et Thomas Bouteille essaient de ma calmer sur le vélo, de même que notre directeur sportif, Jérôme Gannat. J'essaie d'appliquer leurs conseils, mais sans trop de succès jusqu'à présent.
 
Apparemment, tu es moins performant lorsque tu es raisonnable. Sur le Circuit de Saône-et-Loire, ton tempérament fougueux a repris le dessus et tu as gagné...
La solution, ce serait de placer une seule attaque : la bonne. Au Circuit de Saône-et-Loire, j'étais deuxième du classement général le matin de la dernière étape, dans le même temps que le leader (Floris De Tier, de l'équipe EFC-Omega Pharma-Quick Step). Pourtant, j'avais déjà perdu dans ma tête. Je me suis fait violence toute la journée, en particulier dans les descentes sous la pluie, un terrain que je n'aime vraiment pas. J'ai eu la chance de me retrouver dans un groupe d'une trentaine de secondes. Cette fois, j'arrivais à me domestiquer et je voulais conserver un maximum de jus pour le final. Mes relais étaient moins assassins que d'habitude. Je suis sorti en contre-attaque derrière et j'ai craqué physiquement. J'ai été rejoint. Puis je ressors une deuxième fois et je prends la troisième place à l'arrivée.
 
Donc, tu as su doser la raison et la passion. De quoi savourer ce succès tout particulièrement ?
Quand j'ai gagné mon étape du Tour Alsace en 2012, j'étais dans ma région, devant mes proches... Mais décrocher le Circuit de Saône-et-Loire, c'était émotionnellement plus fort. Pour autant, je ne suis pas sûr d'avoir savouré cette victoire. Il faut dire que je suis un peu en train de craquer en ce moment...

Lilian Calmejane -le 29 mai- (Lire ici)

Tu es attiré par l'effort sur longue distance ?
Plutôt par le dépassement de soi. Aujourd'hui encore, je ne connais pas mes limites et j'aime travailler à les repousser. Après ma vie de cycliste, j'essaierai certainement le triathlon, le trail ou une sortie à vélo de trois-cents bornes.
 
Ta progression physique depuis les rangs Minimes a toujours été linéaire...
Oui, je n'ai jamais explosé d'un coup. Et je n'ai encore jamais été membre de l'Equipe de France. Quand j'ai commencé, je n'avais pas le meilleur matériel, ni les meilleures jambes, et donc pas les meilleurs résultats. J'aurais pu m'améliorer plus vite si j'avais arrêté les études après le Bac ou si j'avais finis ma croissance avant mon année de Junior 2. Mais je préfère gravir les échelons un par un, je savoure chaque palier.
 
A tes débuts, tu voyais le cyclisme comme un jeu ?
C'est un jeu que j'ai vite pris au sérieux ! Même si je ne gagnais pas beaucoup de courses, j'avais un tempérament de gagneur. Il en allait de même au lycée. Avec des copains, on s'était amusés à établir un classement en fonction des moyennes scolaires et moi je voulais rendre de bons devoirs, non pas pour obtenir de bonnes notes, mais pour avoir le meilleur classement ! (rires)
 
Tu es décrit comme un boute-en-train, voire une grande gueule. Tu te reconnais dans ces qualificatifs ?
Je le suis moins maintenant, peut-être parce que j'ai pris de l'âge. Quand je me sens bien dans un groupe, je suis du genre chambreur, mais j'ai pu parfois blesser des personnes par mes paroles. Je crois que le rire est une bonne façon d'évacuer la tension avant ou après une compétition. Mieux vaut s'amuser que ressasser son stress tout seul dans son coin !

Nicolas Boisson -31 juillet- (Lire ici)

Est-ce que tu te dis que tu aurais pu être dans le peloton professionnel, si une maladie ne t'avait pas contraint à arrêter ta carrière chez les amateurs, à 22 ans ?
Parfois, j'y pense. Je me dis que j'aurais aimé faire le travail d'un Arnold Jeannesson dans la montagne : rouler à 200% pour mon copain, pour mon leader. Le destin en a décidé autrement.
 
Ce problème hormonal qui t'a affecté à partir de 2011, tu en connais enfin la cause ?
Non, toujours pas. Il semble que j'étais en surmenage, tant à l'école qu'à l'entraînement. Je voulais absolument terminer ma Licence de Staps alors que j'avais quelques contacts pour passer pro dès ma première année Espoirs. Je me suis mis à fond dans le cyclisme et à la fac. Mais je ne regrette pas d'avoir donné la priorité à mes études.
 
Vraiment ?
Il ne faut pas vivre avec ses regrets. Si j'étais passé professionnel, combien de temps aurais-je tenu ? Deux ou trois ans ? Rien ne dit que j'aurais fait carrière pendant dix ans. Chacun a une marge de progression différente. J'étais bon chez les Cadets et les Juniors, meilleur que Thibaut même. Chez les Espoirs, je finis 4e des Championnats d'Europe contre-la-montre et 15e des Championnats du Monde (Dans le top 15, je suis le seul coureur à n'être jamais devenu coureur professionnel.) Mais chez les Espoirs, j'ai coincé en troisième année. Thibaut, lui, a percé dès la première vers le plus haut niveau. Tout change très vite... Tiens, quelquefois, je repense aux Championnats d'Europe Juniors 2007, et je me dis que ma carrière aurait pu prendre une tournure.
 
Lorsque tu étais échappé avec de futures stars, Peter Sagan, Diego Ulissi et Michal Kwiatkowski ?
Nous avions une minute d'avance à dix kilomètres de l'arrivée. Dans le pire des cas, j'aurais terminé quatrième. Or, j'ai chuté et j'ai été transporté à l'hôpital. Compte-tenu que je n'étais plus en tête, l'Equipe de France s'est mise à rouler et Fabien Taillefer termine 2e [derrière Kwiatkowski]. Admettons que j'aie terminé : peut-être que les choses se seraient précipitées pour moi. J'aurais peut-être été encouragé à lever le pied dans mes études et je me serais pleinement consacré au cyclisme. Et donc, peut-être que je serais passé professionnel, à la fin... Mais c'est trop facile de refaire l'histoire avec des « si » !

Jérémy Maison -4 septembre- (Lire ici)

Au départ [du Tour de l'Avenir], tu étais celui qui comptait le moins d’expérience en Equipe de France. Comment t'es-tu adapté ?
Je me suis très bien intégré. Même si j’ai moins d’expérience que la plupart des coureurs que j’accompagnais, je les côtoie depuis de nombreuses années, en tant qu'adversaire. Et puis, il y a eu le stage de préparation et le Tour des Pays de Savoie, ma première sélection tricolore. Je n’étais donc pas complètement novice ! J’avais même participé à un stage Equipe de France lorsque j’étais Junior avec certains du groupe. Sur le Tour de l'Avenir, le seul décalage que j'ai pu ressentir, c'est peut-être une histoire de mentalité.

Tu dis ça parce que tu es encore étudiant en kiné ?
Oui, je peux parfois passer pour une attraction ou une anomalie dans le peloton. Je suis encore un des rares coureurs à partager mon temps entre école à plein temps et cyclisme de haut niveau. Forcément, avec mes copains de l'Equipe de France, nous n’avons pas le même rythme de vie ni les mêmes centres d’intérêt. Les autres gars du groupe ont plus de temps libre pour faire autre chose que du vélo, ils passent beaucoup de temps sur internet ou les réseaux sociaux. Moi, je n’ai pas le temps pour ça, avec mes 30h de cours hebdomadaire. Mais je ne me plains pas, je suis vraiment passionné par la kiné, la physiologie et tout ce qui a trait au corps humain en général, alors je prends beaucoup de plaisir dans mes études. Même si cela a sûrement été un gros frein au début de mes années Espoirs.

Tes études t'ont pris un temps considérable ?
J'ai dû valider ma première année de médecine pour intégrer mon école actuelle. Cette année-là, c'était une vraie galère, honnêtement ! Du point de vue de mon parcours cycliste, c’est une année perdue. Je n’ai pas pu progresser car le rythme des études était tel qu’il m’était impossible de m’entraîner convenablement et être frais psychologiquement au départ des courses. C’était une compétition permanente, j'ai vécu sous pression non stop.

Crédit photo : Freddy Guérin - www.directvelo.com
 

Mots-clés