La Grande Interview : Florilège 2015

Pour ce dernier jeudi de l'année, pas de Grande Interview, mais un florilège de Grandes Interviews. DirectVelo vous propose de relire des extraits de ces articles où nous essayons de vous faire découvrir le portrait d'une personnalité du vélo, des coureurs, mais pas seulement.

Ange Roussel (entraîneur, ancien CTR de Bretagne)
1er janvier 2015

Et au cyclisme amateur, que faut-il lui souhaiter ?
De continuer dans la bonne direction. Franchement, le cyclisme sur route est bien organisé en France, je ne vois pas grand chose à redire. Par contre, je souhaite qu'on mette en place une belle équipe de poursuite. J'en ai parlé à David Lappartient [le Président de la Fédération française de cyclisme], que je connais depuis qu'il a six ou sept ans, tout gamin. Si on n'obtient pas de titre de Champion du Monde, peu importe – en plus, ce sera difficile de lutter contre les Australiens, les Néo-Zélandais, les Allemands, les Suisses et bien sûr les « British » ! Mais il faut développer la poursuite par équipe au moins pour renforcer la formation de nos routiers. On a perdu beaucoup de temps dans ce projet. Pour les Jeux de Rio, c'est trop tard : on a besoin de quatre à cinq ans pour bâtir un groupe compétitif.

Vous êtes plutôt confiant pour l'avenir du cyclisme sur route en France. Mais beaucoup de voix s'élèvent en ce moment : Cyrille Guimard estime que le secteur professionnel est méprisé par la FFC, les clubs de DN pensent que le secteur amateur est tout autant déconsidéré. Ont-ils raison de se désoler ?
Large sujet... Le manque d'écoute de la fédération n'est pas nouveau et il a parfois été encore plus grave que maintenant. Dans les années 70, j'avais accordé une interview à Miroir des Sports parce que nous, cadres techniques, n'étions pas entendus. Les gens de la fédé devraient chercher des sous et construire des vélodromes, c'est tout. Pour ce qui concerne le sport, ils devraient se reposer sur les techniciens. J'ai bon espoir que David [Lappartient] et Vincent Jacquet, son DTN (lire ici), sollicitent davantage les entraîneurs, clubs, coureurs... Toutefois, je suis surpris que Guimard soit surpris. En tant qu'ancien routier de la fédération, il devrait avoir l'habitude d'être malmené. Pourquoi claque-t-il la porte du Conseil d'administration maintenant ?

Quant aux clubs de DN qui se plaignent d'être méprisés ?
Ce n'est pas nouveau non plus. Je les comprends. A mon époque, le cyclisme amateur était structuré par comités régionaux. Puis on a mis en place les clubs de DN [en 1993] pour assurer la formation. Aujourd'hui, ils se sentent esseulés. Pourtant, ils font du beau boulot en relais avec la fédération et les entraîneurs comme Pierre-Yves Chatelon [l'entraîneur national des Espoirs].

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Guillaume Martin (CC Etupes), grimpeur et étudiant en philosophie.
12 février 2015

Si on te dit : « Je suis un corps de part en part, et rien hors cela ; et l'âme ce n'est qu'un mot pour quelque chose qui appartient au corps » ?
Bon, c'est une citation de [Friederich] Nietzsche. Un philosophe qui m'occupe beaucoup en ce moment, puisque mon mémoire de fin d'études porte sur sa conception du corps, et donc du sport. A son époque, le cyclisme n'était pas encore développé [il meurt en 1900]. Mais il fait référence aux sports, notamment tel qu'il existait dans la Grèce antique avec les Jeux Olympiques.

Traditionnellement, la philosophie occidentale sépare le corps et l'esprit. Toi, tu cherches des points de convergence ?
J'étudie les liens, à travers l’œuvre de Nietzsche. L'héritage judéo-chrétien a créé une césure. La philosophie, par sa volonté de rigueur, s'est toujours placée du côté de la raison et elle a beaucoup dévalué le corps. Je n'ai pas rencontré beaucoup de professeurs ou d'étudiants qui s’intéressaient à la chose sportive. J'ai la chance d'avoir un maître de mémoire sensible à ces questions : il écrit sur le sport et la philosophie et c'est même un cycliste pratiquant.

Comment réconcilies-tu sport et esprit dans ta vie de tous les jours ?
En philo, je pense le sport. Je ne suis pas un pur esprit, je suis aussi un corps. Et dans le sport, j'essaie d'avoir une approche réfléchie de ce que je fais. Contrairement à ce que dit Coluche, le sport n'empêche pas de penser !

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Stéphane Poulhiès (Occitane CF), de retour chez les amateurs où il retrouve le plaisir de courir.
7 mai 2015

Selon toi : pas d'échappée, pas de plaisir. Tu as dû t'ennuyer en neuf saisons chez les pros ?
C'est vrai, j'ai fini très dégoûté...
 
A cause de la mentalité « conformiste », telle que Thomas Rostollan nous la racontait ? (Relire « la Grande Interview » avec l'ex-membre du Team La Pomme Marseille) Je n'ai pas une dent contre le cyclisme pro dans son ensemble. D'ailleurs, si une proposition se présente en fin d'année, je l'étudierai. Même s'il ne s'agit pas de ma priorité pour le moment : l'objectif reste de me faire plaisir et de partager mon expérience avec les coureurs du club. Je reste persuadé qu'on peut prendre du plaisir chez les pros. Je l'ai vécu chez Saur-Sojasun, qui était une vraie petite « famille ». Puis, j'ai rejoint Cofidis en 2013...

Le problème, c'est donc Cofidis ?
Malheureusement, oui. J'ai découvert une mentalité du vélo que je ne connaissais pas. C'était « marche ou crève ! ». Nous, les équipiers, étions comme des pions. Nous faisions notre travail pour certains leaders et nous n'avions jamais un mot de remerciement de la part des dirigeants. A la fin de l'année, comme on a tout donné pour le collectif, on manque de résultat personnel. Alors, notre contrat n'est pas renouvelé. J'ai été surpris et très déçu en août 2014 lorsque j'ai appris que je n'étais pas conservé dans l'effectif. Juste un « Au revoir ! ». Je ne crois pas avoir entendu « Merci ! ». On pourrait se dire que c'est notre métier, que nous sommes payés pour ça. Mais je pense qu'il faut prendre en compte l'approche mentale de l'individu. Chaque année, il y a la moitié du groupe qui est remanié. Du coup, peut-être que le problème de cette équipe ne vient pas des coureurs...
 
Dans le peloton pro, la norme est-elle une équipe comme Saur-Sojasun ou bien comme Cofidis ?
Je ne sais pas comment travaillent les autres équipes. Mais il est clair qu'il existe deux modèles : l'artisanal, qui produit de la qualité, comme Saur-Sojasun. Et l'industriel...

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Julien Lamy (Team Elancia-VC Tulle), ancien militaire, ancien triathlète et (ancien) adepte des grands braquets.
4 juin 2015

A un âge où la plupart ont raccroché depuis longtemps, tu réalises ta meilleure saison sur le vélo. Quel est ton itinéraire ?
J’ai certes 40 ans sur les papiers, mais dans la tête je n’en ai que 20 ! J’ai arrêté mon parcours scolaire très tôt : je n’étais pas fait pour les études. Je viens d’un milieu modeste où même pendant la scolarité on devait travailler les jours de repos et pendant les vacances. Dès que j’ai quitté l'école, j’ai enchaîné les petits boulots jusqu’au service national que j’ai fait avancer au plus tôt. Je me suis engagé pour un service long de deux ans. C’était l’époque de la guerre de Bosnie [1992-1995] et on m’a proposé de partir dans le cadre de la FORPRONU (Force de Protection des Nations Unies). Comme je n’étais riche que de mon seul sac à dos, j’ai dit banco !

Quelles images gardes-tu du conflit en Bosnie ?
Pendant la guerre, on t’apprend à faire des trucs pas très catholiques que tu reproduis comme par un réflexe conditionné. J’ai côtoyé la misère et vu des enfants se faire tuer simplement parce qu’ils n’avaeint pas la bonne religion et qu'ils se trouvaient au mauvais endroit, au mauvais moment... Parmi les gars qui étaient avec moi, certains ne s’en sont jamais remis. L’un d’eux à choisi de perdre la vie, un autre est en hôpital psychiatrique. Paradoxalement, malgré tout cela, j’y ai vécu des sentiments d’excitation extrême qui parfois me manquent.

Comme tu dis, c'est paradoxal...
L’expérience m’a appris que je n’étais pas fait pour vivre une vie pépère. L’armée et surtout les situations de guerre m'ont fait passer par des moments que je ne revivrai plus jamais. Par exemple, la montée d’adrénaline lorsqu'on se fait tirer dessus et que l’on prend conscience que la vie peut s’arrêter.

En vélo, on parle parfois de "guerre" ou de coureurs “guerriers”. Quand tu as connu de véritables champs de bataille, l'expression te semble-t-elle excessive dans le sport ?
Non, il n'y a pas besoin d'avoir fait des opérations extérieures pour avoir le tempérament de guerrier. “Battant” est peut être le terme plus adapté au sport. Pour moi, c'est être courageux.

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Taruia Krainer (Vendée U), parti à 16 ans de Tahiti pour faire carrière dans le vélo en Métropole.
10 septembre 2015

Quitter la Polynésie, c'était indispensable ?
Si tu veux devenir cycliste, oui. Pour m'entraîner, j'avais le choix entre deux routes en sortant de chez moi : l'une à gauche, l'autre à droite. Je partais, je faisais demi tour et de rentrais. Tahiti est une île volcanique. La route longe le littoral. Il existe d'autres voies qui mènent vers le centre, mais la pente est terrible, on ne s'y aventure gère.

Mais tu savais que tu avais le niveau pour faire carrière en Europe ?
A Tahiti, tu as du mal à te faire une idée de ton niveau. Chez les Minimes, nous étions une quinzaine de coureurs maximum. J'avais gagné 25 épreuves sur 26. Puis je suis allé au Tour de Nouvelle-Calédonie Cadets où je termine derrière les Australiens, qui marchaient très fort. Là, je me suis dit que ce ne serait pas un sacrifice inutile de tenter ma chance en France.

Tu as dû ramer pour réunir un budget ?
Bien sûr, il a fallu se serrer la ceinture. J'ai fait quelques prêts étudiants, parce que mes parents ne pouvaient pas tout payer. Heureusement, les billets d'avion étaient pris en charge par l'Etat - aujourd'hui, je suis ambassadeur de la compagnie Air Tahiti Nui. Je ne savais pas où aller en France, alors j'ai envoyé des candidatures par email. J'étais intéressé par le Pôle de Nice, mais la vie sur place était trop chère. Du coup je me suis rabattu sur Saint-Brieuc, en Bretagne.

C'est là que tu fais la connaissance de Johan Le Bon ?
Un mec au top ! Pour ma deuxième saison en France, je me retrouve échappé avec lui sur le Tour du Morbihan. Nous avions le même maillot, celui de l'UC Briochine. Enfin, non, lui portait celui de Champion du Monde. Il était en tête, moi je gérais l'écart derrière pour que personne ne flingue. Dans le final, je pars avec un gars en contre, que je parviens à lâcher. Je rentre sur Johan. Et là, il me dit : « Je te laisse gagner ! ». Nous étions sur le Tour du Morbihan, une référence chez les Juniors ! Malheureusement, une contre-attaque revenait sur nous et je commençais à être cramé. Johan a accéléré et c'est lui qui s'impose.

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Crédit photo : Amélie Barbotin - Amélie Barbotin photographies
 

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