La Grande Interview : Alexis Carlier

Crédit photo DR

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De retour du Tour du Cameroun il y a deux jours (le 22 mars), Alexis Carlier était à l'aéroport de Bruxelles pour y effectuer une correspondance avant de rentrer chez lui à Grasse au moment des attentats. La vie du coureur de 21 ans n'a pas n'a pas été mise en danger, ni celle des des membres de son équipe et de ses parents qui se trouvaient avec lui, mais la mort semble décidément roder autour de l'Azuréen qui a eu son lot de coups durs par le passé avec la perte de deux de ses proches amis. Mais si le proverbe dit que la volonté ne se forge bien que dans l'adversité, le sociétaire du Team Martigues SC-Drag Bicycles en est le parfait exemple. Derrière son côté sociable et avenant se cache une force morale et un désir de vivre impressionnants. Leader actuel du Challenge BBB-DirectVelo, le puncheur a parfaitement rebondi après une saison blanche en 2014 – lors de laquelle il a arrêté la compétition durant trois mois – et une première moitié difficile en 2015. Pour garder le sourire lorsqu'il n'est pas sur le vélo, Alexis Carlier qui abhorre la ville et apprécie la montagne se filme en train de chanter et de jouer du piano (sa reprise de The Scientist de Coldplay a été visionnée plus de 270 000 fois).

DirectVelo : Tu étais à l'aéroport de Bruxelles au moment des attentats. Que s'est-il passé pour toi ?
Alexis Carlier : C'était assez bizarre. Je n'ai rien vu ni entendu car j'étais dans le bâtiment d'à côté. J'étais tout seul et je sortais des toilettes quand j'ai vu passer en courant deux agents de sécurité. Ensuite j'ai vu une foule de passagers qui couraient aussi, qui criaient et beaucoup d'entre eux pleuraient. J'entendais "il y a une bombe !". J'étais stressé parce que j'avais laissé tout le monde dans le hall de l'aérogare : mes parents, mes coéquipiers... Le mouvement de panique est passé et j'ai retrouvé sans problème le reste du groupe. Puis il y a eu une nouvelle vague d'effroi et tout le monde à couru vers le fond du bâtiment. On ne savait pas vraiment ce qu'il se passait mais j'étais inquiet parce que nous étions plusieurs milliers de personnes coincées dans un cul de sac. Et si un terroriste venait pour tout faire péter, ça pouvait être un carnage... Ce n'est que quinze minutes plus tard qu'on a appris qu'il y avait eu des explosions avec qu'il y avait des blessés et des morts. J'ai alors commencé à vraiment flipper.

Pourquoi cette inquiétude alors que les assaillants se trouvaient dans un hall différent ?
Parce que nous n'avions aucune information. Je trouve que l'attente a été très mal gérée car il n'y avait aucune personne armée, ni policier ni agent de sécurité pour nous protéger. En plus tout le personnel de l'aéroport s'est enfui en courant pendant le moment de panique donc il n'y avait personne pour nous encadrer. C'était vraiment craignos car juste de l'autre côté de la piste se trouvent des villages et n'importe quel taré aurait facilement pu venir. Il n'y avait rien de prévu pour cette situation d'urgence alors qu'on était en Belgique, à Bruxelles, là où Abdeslam a été arrêté, où l'on sait que certains terroristes habitent. C'est n'importe quoi.

Comment avez-vous été évacués ?
Nous sommes sortis par une porte d'embarquement et nous avons attendu une heure-une heure et demi sur le tarmac avant de rejoindre un hangar dans lequel nous sommes restés de 10h30 jusqu'à 17h. Ce n'est que pendant qu'on était là-bas qu'on a appris qu'il y avait également eu une attaque dans le métro et que c'était un attentat de Daesh. Des gens dormaient à même le sol, les conditions étaient précaires et on nous a conseillé de quitter l'aéroport parce qu'il serait fermé le lendemain. C'est ce que nous avons fait avec mes parents qui étaient en Guinée pour le travail de mon père et qui m'ont rejoint lorsqu'il a eu fini en partant à l'hôtel, pendant qu'une partie de l'équipe est restée sur place.

Vous êtes donc rentrés en train le lendemain ?
Oui, sans bagages ni vélos parce que l'aéroport est interdit d'accès pour les besoins de l'enquête. Tout est resté à l'intérieur, dans la salle du carnage où ils gèrent tout et on ne sait pas quand on pourra récupérer nos effets personnels. Je sais qu'ils ont ordre de fouiller chaque sac car les autorités redoutent la présence d'une autre bombe. On nous a dit que ça pouvait durer deux semaines. Bref, on est finalement parti à 16h45 et on a encore pris du retard en restant bloqués sur la voie pendant une heure-et-quart sur la voie parce que train a percuté un animal. Je suis arrivé chez moi à Grasse à deux heures du matin.

Il y a un certain nombre de photos et de vidéos de l'attentat qui circulent dans les médias ou sur internet. Toi qui était sur place, qu'as-tu vu ?
Finalement pas grand chose à part un homme étendu par terre avec du sang sur la chemise. 

« JE PENSE A CLEMENT ET A THEO POUR ME MOTIVER »

Pour un jeune de 21 ans tu as déjà traversé bon nombre de situations dramatiques...
Effectivement, ce n'est malheureusement pas la première fois que la mort frappe autour de moi... J'ai perdu deux de mes meilleurs copains dans des accidents de la circulation. Pour Clément Le Bras en 2012 je courais en Juniors 2. C'était presque un ami d'enfance, on se connaissait depuis nos débuts dans le vélo. Ça a été assez perturbant d'autant qu'il n'est pas mort sur le coup et qu'il est resté une semaine à l'hôpital. J'ai mis du temps à m'en remettre. J'ai beaucoup abandonné après sa disparition. C'était la première fois que je vivais ça.

Avant le décès de Théo Conte en 2014...
C'était mon meilleur ami à ce moment là en plus d'être mon coéquipier. On se connaissait depuis le lycée et on passait toutes nos journées ensemble. C'était comme un frère. On s'était donné rendez-vous devant chez lui ce jour-là donc je suis allé l'attendre là-bas. Quand j'ai vu qu'il n'arrivait pas je me suis dit qu'il était juste en retard mais le temps passant j'ai commencé à m'inquiéter. Je l'appelais mais il ne répondait pas et puis les flics sont arrivés... Comme il n'y avait personne chez lui j'ai été le premier à l'apprendre. Ça a été très très très difficile, j'ai dû couper ma saison après deux mois de compétition. J'ai fait une dépression.

D'autant plus que tu as dû surmonter d'autres difficultés...
Janvier-février 2014 a vraiment été une période noire. En l'espace de trois semaines ma copine me quitte, mon ami meurt deux semaines plus tard et sept jours après je découvre que j'ai un souci au genou : un syndrome fémoro-patellaire. C'est un problème au niveau du cartilage qui m'empêchait de forcer et qui m'a handicapé pendant un mois et demi. Ça explique ma reprise tardive des compétitions en avril avant que je ne coupe à cause du mental ...

Comment as-tu fait pour passer outre ces moments difficiles ?
Pour Clément j'étais jeune et j'ai perçu ça assez différemment. Certes c'était un très bon ami mais avec la distance on se voyait moins. J'ai beaucoup repensé à tous les moments qu'on avait passé ensemble. Pour Théo ça a été encore plus dur. J'étais plus âgé et je me suis d'avantage rendu compte de ce que sa mort impliquait. Je voulais lui rendre hommage sur le vélo mais je n'avais pas le moral. Lorsqu'on n'est plus en confiance on abandonne, on laisse tomber et on boude. Puis on s'y remet. Je suis parti à Montpellier avec ma copine pour tout reprendre de zéro, je voulais changer d'air. J'ai même repris mes études en fac de droit même si ça n'a duré que trois mois et au final ça a marché. Je me suis quand même fait aider par un psychiatre mais au bout de deux mois il n'y avait plus rien à faire pour m'aider. Il m'a dit que j'avais bien fait d'apporter des changements dans ma vie.

Et tu as recommencé à faire du vélo... 
Les autres me disaient de continuer et après avoir complètement arrêté en juin j'ai décidé de reprendre en septembre. J'ai fait quasiment une saison blanche en 2014 et l'an dernier la première moitié de saison a été très difficile, je n'avais même pas un niveau correct. J'avais l'impression de ne pas y arriver à l'entraînement. Et puis le déclic a fini par arriver après une pause au mois de juin. J'ai enchaîné une septième place au Tour du Pays Roannais, une victoire sur une cyclo au Ventoux et une dixième place en Coupe de France. Ça a été long et difficile mais je me suis remis en route après un an et demi de remise en question. Je me suis interdit d'abandonner même si j'étais dernier. En 2015 je n'ai bâché qu'à cinq reprises, dont quatre sur pépin ou blessure. Je n'ai lâché qu'une seule fois en toute fin de saison et je suis fier de ça. Mentalement j'ai franchi un cap, les blessures m'ont rendu beaucoup plus fort. Maintenant je m'accroche coûte que coûte et si ça ne fonctionne pas je relativise en me disant que ce sera mieux le week-end suivant ou celui d'après. Je trouve notamment ma motivation en pensant à Théo et à Clément. Si jamais j'arrive à m'imposer je leur dédierai évidemment ma victoire comme je l'ai fait au Ventoux avec les doigts levés vers le ciel.

« AVOIR AU MOINS UNE SELECTION AVANT DE QUITTER LES ESPOIRS »

Plus accessoirement tu es actuellement leader du Challenge BBB-DirectVelo. Comment vis-tu cela ?

Même si je sentais que j'avais franchi un cap c'est un peu inattendu. Je voulais aller au bout de ma saison 2015 pour bien préparer cette saison mais ce n'était pas prévu de me retrouver premier. En tout cas je suis super content, ça fait bien plaisir car ça fait un peu de moi le numéro un français chez les amateurs. Après je ne vais pas me prendre la tête, je ne m'attends pas forcément à le rester (sourire). Je ne vais pas calquer mes courses sur le Challenge parce que ce serait se mettre des bâtons dans les roues tout seul. Il ne faut pas que ça me monte à la tête, que je devienne prétentieux et que je me relâche. 

Est-ce que le Tour du Cameroun constitue le tournant de ta saison ?
Peut-être. Je suis assez content de moi, j'ai bien géré pour ma première grosse course par étapes. Je n'avais jamais dépassé quatre jours de course. J'étais un peu inquiet au début parce qu'après m'être fait vacciner contre la fièvre jaune après le Jean-Masse je n'étais pas bien du tout, mon niveau de performance s'est écroulé. J'ai donc pris le départ en n'étant pas confiant et je n'ai pas trop roulé les trois quatre premiers jours pour me remettre en forme. Je redoutais peu la première étape accidentée qui d'ailleurs ne s'est pas bien passée mais je pense que c'était normal vu que c'était le premier col de l'épreuve après quatre étapes toutes plates. J'ai ensuite profité du jour de repos avant la grosse étape de montagne où j'ai eu de super sensations. J'ai repris du temps au maillot jaune et je suis remonté à la quatrième place du général. Le dernier jour j'ai réussi à prendre des bonifications lors des sprints intermédiaires et à l'arrivée où je me suis classé troisième pour prendre cette deuxième place. Le maillot de meilleur jeune est aussi devenu un objectif au fur et à mesure. La veille de la dernière étape je me suis dit que j'avais les moyens d'aller chercher cette tunique et la deuxième place du classement final et c'est ce que j'ai fait donc je suis satisfait. Je ne pensais pas en être capable au départ de l'épreuve, jouer une étape oui mais pas le général.

On dit que c'est une épreuve très montagneuse, tu confirmes ?
Pas tant que ça, ce n'est pas un tour pour les purs grimpeurs. Finalement il n'y a que deux étapes difficiles, surtout la sixième où j'ai fini deuxième : les montées étaient raides et il y a eu des écarts à l'arrivée. Sinon c'est plutôt vallonné, avec des coups de cul réguliers. La particularité c'est qu'il n'y a qu'une seule route là-bas et que c'est toujours tout droit et en prise. C'est très usant mais pas on ne peut pas parler de haute montagne.

L'an dernier tu te considérais comme un puncheur-sprinter, c'est toujours le cas ?
Pas vraiment parce que je n'ai pas progressé au sprint depuis mon passage chez les Juniors. On va dire que je suis un puncheur qui grimpe bien même si j'ai gardé une assez bonne pointe de vitesse. Je ne suis pas un pur grimpeur surtout que par le passé ça s'est toujours mal passé lorsque ça monte beaucoup mais je travaille pour m'améliorer dans ce domaine.

Quelles-sont tes ambitions pour la saison ?
Il faut que je continue sur la même lancée, je n'ai pas envie de changer quoi que ce soit. Ce serait bien de gagner une course parce que j'attends toujours ma première victoire. Je voudrais aussi faire quelque chose sur la Ronde de l'Isard même si elle ne m'a pas du tout réussi jusqu'à maintenant. Et puis pourquoi pas être appelé en équipe de France, j'aimerais être sélectionné au moins une fois avant de ne plus être espoir. Le Championnat d'Europe se déroule à Nice cette année, juste à côté de la maison. Ce serait un rêve de pouvoir y aller.

« AU DEBUT C’ETAIT POUR RIGOLER »

Pour essayer de terminer sur une note un peu plus légère, le vélo n'est pas ta seule passion puisque tu es également chanteur et pianiste.
Effectivement et ça compte autant que le vélo. Ce sont deux choses complémentaires l'une de l'autre dont j'ai besoin pour être heureux. J'aime le cyclisme mais pas en permanence même si je fais bien-sûr attention à ce que je mange. Une fois que ma course ou mon entraînement est fini il faut que je passe à autre chose et la musique me permet de m'évader. En cultivant les deux activités je me donne plusieurs cordes à mon arc ce qui implique des personnes, des projets et des buts différents. J'aime me produire en public et à ce niveau le vélo et la scène sont un peu pareils. Quand on court les gens nous regardent, c'est une sorte de démonstration. Je dirais que le cyclisme cultive mon physique pendant que la chanson développe mon côté psychologique.

Comment décrirais-tu ton style ?
Je suis un grand fan de Muse mais je n'en joue jamais parce que je ne suis pas guitariste. Et puis je n'ai pas la même voix que le chanteur : lui est un ténor, moi un baryton basse. Je fais surtout des trucs de crooner, de la pop. J'ai appris à chanter sur du Mika et j'ai une voix qui lui ressemble mais en plus grave. Je suis d'abord chanteur avant d'être pianiste même si je joue quelques morceaux classiques de Chopin ou Rachmaninov comme le prélude en do dièse mineur pour ceux qui connaissent. Cela fait trois-quatre ans que je prends des cours au conservatoire de Cannes pour corriger mes défauts, surtout en chant. J'ai appris à l'oreille mais on a tendance à s'égarer en voulant imiter les autres.

Tu postes des vidéos sur Youtube (lire ici). D'où cela est-il venu ?
J'ai commencé en 2013. Au début c'était juste pour rigoler et puis ça a pris de l'ampleur car des gens ont commencé à me regarder. C'est maintenant devenu un objectif de vie. J'ai commencé la guitare et le solfège lorsque j'étais en primaire. Je me suis ensuite tourné vers le piano et le chant que j'ai appris tout seul quand j'avais 12-13 ans. Mon père a une amie sur Paris qui possède un studio et d'autres connaissances qui savent filmer et monter. J'ai essayé et comme ça m'a plu j'ai réitéré.

Et tu n'as jamais pensé à passer des castings pour des émissions ?
Si même si on m'a déconseillé de le faire parce que c'est un milieu spécial et que le but c'est surtout de faire de l'audimat. Des casteurs m'ont appelé pour The Voice et la Nouvelle Star et à chaque fois on m'a dit que je chantais bien voire très bien, mais que je n'avais "pas le profil". Même si je ne suis pas un monstre, ça fait un peu mal de voir que certains sont pris alors qu'ils sont débutants. Mais bon j'étais prévenu, ce n'est pas grave et pour tout dire je m'en fiche un peu.

« JE RÊVE DE FAIRE CARRIERE DANS LE VELO ET DANS LA CHANSON »

Est-ce qu'on t'en parle souvent dans le peloton ?
Ça arrive. Je pense que pas mal de gars sont au courant même si ce n'est pas tout le temps qu'on vient me voir pour ça. Dans mon équipe par contre c'est différent, mes coéquipiers m'avaient même trouvé un surnom l'an dernier : The Voice (rires). J'ai déjà entendu un ou deux speakers en parler aussi, ça fait toujours plaisir.

Comment imagines-tu ta vie dans dix ans : sur le vélo ou derrière un micro ?
Pour l'instant je ne sais pas. La musique reste un peu en retrait par rapport au vélo mais que ce soit l'un ou l'autre j'aimerais bien en faire mon métier. Le rêve ce serait de faire carrière dans le vélo puis d'enchaîner sur la chanson.

On a pu voir ton père dans des séries françaises comme Hélène et les Garçons. Cela a-t-il joué ?
Je n'ai quasiment jamais regardé ce qu'il a fait. En fait mes deux parents sont intermittents du spectacle : mon père est metteur en scène et ma mère est comédienne. J'ai toujours baigné dedans donc indirectement ça a dû m'influencer même si ça ne m'a pas aidé à savoir chanter ou à jouer du piano. Par contre c'est sûr que sans leur soutien je n'y serais pas arrivé, c'est important de le dire. Je travaille assez souvent avec eux car mon père a créé un principe qui consiste à mêler le théâtre à la chanson. Nous avons déjà effectué trois représentations plus une qui est prévue au prochain festival de Tours et je fais moi-même de petits concerts de temps en temps. D'ailleurs j'espère bien arriver à un moment où je ne ferai plus que ça. Je commence à avoir l'habitude de me produire devant plusieurs centaines de personnes et pour ne rien cacher j'adore ça ! 

Quel membre de ta famille possède la plus grande fibre artistique selon toi ?
C'est dur de comparer parce qu'on a tous notre domaine d'expression. Au final mon père est réalisateur, ma mère actrice et moi musicien. Mais si je devais choisir je dirais mon père car lui il dirige alors que ma mère et moi on interprète.

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