La Grande Interview : Aurélien Paret-Peintre
Aurélien Paret-Peintre est un grimpeur au poil. Vainqueur de la Classique des Alpes en 2013 (mais aussi du Giro di Basilicata et du Tour d'Istrie chez les Juniors), 6e de la Ronde de l'Isard en 2015, le coureur de Chambéry Cyclisme Formation (CCF) est l'un des tous meilleurs de sa génération dans la montagne, devenu un incontournable en Equipe de France. Quand il parle ou quand il pédale, il est net, précis. Dans l'entretien qu'il accorde à DirectVelo, avant de partir pour la Course de la Paix, en République Tchèque, il répond parfois avant la fin des questions. L'énergie prête à jaillir. Paret-Peintre, 20 ans, aime avoir "l'impression de tout maîtriser", par exemple dans la planification de ses entraînements. Mais il nuance : "Se remettre en question, ça fait partie du plan. Il faut s'adapter". Preuve qu'on peut être maniaque et ouvert d'esprit.
DirectVelo : C'était quand, le dernier article de presse avec un jeu de mots sur ton nom ?
Aurélien Paret-Peintre : Je n'y ai pas droit tant que ça ! Il y a bien eu un ou deux « Paret-Peintre plante le décor », mais sans plus. Ça me fait rire. Même chose pour les surnoms que j'ai dans le peloton : « Papier peint » (on le donnait déjà à mon père !), « Paret-Pintre » (à l'anglaise). Ou encore « Pimpin », la façon dont m'appellent les coéquipiers du CCF. Tout ceci reste bon enfant ! Je ne sais pas comment le « Peintre » est venu se greffer à mon nom de famille. Le « Paret » désigne une vieille forme de luge, qu'on utilisait dans les Alpes, vers Saint-Colomban-des-Villards, dans le Col du Glandon – c'est le berceau de ma famille, du côté de mon père.
Tes ancêtres vivaient dans un col ?
Oui ! Ils ont fini par descendre de la montagne, et moi, j'y remonte de temps en temps ! [rires] Le Glandon, franchement, c'est un col mythique, très beau et ardu, comme le Galibier ou la Madeleine. Jusqu'à « chez moi », la pente n'est pas trop difficile, mais ensuite, ça se corse. A pied ou à vélo, j'y vais depuis petit, avec mes parents et mes grands-parents. Même si nous n'avons plus de famille là-haut, la balade vaut le détour. A chaque fois, je me régale !
Le Glandon, un col qui correspond bien à ta manière de grimper, d'ailleurs ?
En règle générale, je préfère les cols des Alpes, plus longs et roulants, à ceux des Pyrénées. J'aime monter avec un braquet souple et sans à-coups. Mais un bon grimpeur doit s'adapter à tous les terrains...
« J'ETAIS GRINGALET... ENCORE PIRE QUE MAINTENANT ! »
Une autre histoire de famille et de montagne : la Classique des Alpes, que tu remportes en 2013, pour ta première saison chez les Juniors ?
Pour la première fois, l'arrivée avait lieu à la Bridoire, devant la maison de mes grand-parents. Toute la famille était réunie. Au fond de moi, j'espérais obtenir un bon résultat, mais certainement pas la première place [Aurélien Paret-Peintre devance Rémi Aubert, actuel coureur du CC Etupes, et Rémy Rochas, son coéquipier au Chambéry Cyclisme Formation, qui remporte la Classique des Alpes Juniors en 2014, NDLR]. C'est la première grande course que je gagne. Ce jour-là, j'ai ressenti une émotion incroyable, que je n'ai jamais retrouvée depuis... J'étais incrédule. Une fois que j'ai pris la mesure de ce que j'avais fait, ma vie de coureur était définitivement lancée.
Les ascensions de cols se sont assez vite imposées dans ta vie de cycliste ?
Quand tu habites à Annemasse, tu rêves de monter au Salève. C'est le massif qui se dresse au-dessus de la ville. Une montée très dure – le Tour de l'Avenir y est passé en 2014 quand Julian Alaphilippe a gagné en échappée ensuite au Plateau des Glières. Mais j'ai dû patienter avant de grimper là-haut. Au début, je tournais autour des quilles et je faisais les petits sprints de l'école de cyclisme. J'allais surtout aux entraînements pour passer du temps avec les copains. On finissait avec des petites barquettes de frites et un Coca. On se faisait plaisir. Les résultats, je n'en avais pas des masses.
A cause de ton petit gabarit ?
Oui. J'étais gringalet. Encore « pire » que maintenant ! Il me tardait d'aller dans les cols, car un coureur tout fin peut s'y exprimer mieux que dans un sprint. Bon, évidemment, il faut être fort aussi. Ce serait trop facile si tous les mecs légers grimpaient et si tous les mecs lourds étaient rouleurs. Mais il y a une part prépondérante de génétique dans le vélo. J'ai le rapport poids-puissance d'un grimpeur. Je suis né comme ça.
Ainsi, tu gardes toujours la ligne ?
Je ne mange pas n'importe quoi. Mais je ne pense pas être le « jobeur » à 200 % qu'on décrit parfois dans le peloton. Chez les Juniors, il fallait même que je fasse attention à ne pas trop perdre de poids, sinon je perdais aussi de la force...
« J'AIME QUAND LE PLAN MARCHE »
Quand tes coéquipiers sont admiratifs de ta préparation « au millimètre », ils font référence à ton entraînement ?
C'est dû à la fois à mon caractère et à la politique du CCF. Nous avons des horaires fixes grâce aux repas pris en commun : 12h45 pour le déjeuner, 19h pour le dîner. Le club nous demande d'être très concentrés, d'être acteurs de notre sport, et ça me plaît. Par exemple, nous devons étudier le parcours de toutes les courses auxquelles nous allons participer. La démarche semble normale, mais encore faut-il l'appliquer scrupuleusement... Et comme j'aime avoir l'impression de tout maîtriser, la politique du club me convient.
Il paraît que tu prépares un entraînement avec autant de précision qu'une compétition ?
C'est vrai, j'adore organiser mes sorties ! Il n'est pas envisageable qu'un entraîneur me donne un plan en disant : « Tu fais ça ! ». Moi, je veux participer à ce que je fais. L'entraînement est une co-construction : Vincent Terrier réalise un travail très soigné pour nous avec les capteurs de puissance et, de mon côté, je trace à l'avance mes parcours sur Open Runner. C'est idéal pour connaître le dénivelée et la distance exacts. Quand on part entre copains, c'est moi qui décide de l'itinéraire. En début de saison, nous sommes allés au nord de l'Espagne, avec Benoît [Cosnefroy], Victor [Tournieroux] et Jaap [De Jong]. Ils me laissaient à chaque fois organiser notre petit tour !
Tu as la même approche méticuleuse des courses ?
J'essaie d'être autant cadré. Sur Liège-Bastogne-Liège Espoirs, je sais exactement à partir de quand je peux bouger, c'est-à-dire pas avant la Côte de Saint-Nicolas. Là, je suis les conseils de Loïc Varnet [manager de Chambéry Cyclisme Formation]. Toute la course, toute l'équipe m'aide et je sens cette appréhension en moi : il faut suivre le plan. Je l'ai exécuté comme prévu cette année et je sors dans un groupe de contre-attaque qui me permet d'aller chercher une place dans le Top 10. Plus que de décrocher un résultat, je suis content quand le plan marche.
« JE PREFERE L'ENTRAINEMENT A LA COMPETITION »
Sauf que dans le vélo, il y a de nombreux grains de sable qui surviennent à tout instant ?
Se remettre en question, ça fait partie du plan ! Il faut toujours s'adapter...
Dans l'absolu, un coureur qui aime que tout fonctionne « au millimètre » ne peut jamais être satisfait de ses courses, non ?
C'est la raison pour laquelle je préfère sans doute l'entraînement à la compétition.
Un point de vue assez rare dans le cyclisme !
Bon, disons que ces deux activités sont complémentaires. J'ai besoin d'être impliqué dans un entraînement et appliqué sur une course. La course me donne un objectif, qui renforce ma motivation à l'entraînement.
« PRODUCTIF DANS MON TRAVAIL »
Pourrais-tu t'entraîner sans jamais disputer de compétition ?
Aujourd'hui, ça ne me dérange pas de passer une période de deux ou trois semaines sans courses. J'ai l'impression d'être productif dans mon travail. La logique veut quand même que je courre, pour obtenir des résultats qui valident ma préparation. Plus tard, on verra bien... Mais il est possible que je roule toujours, parce que je prends énormément de plaisir.
Tu ajoutes toujours de la montagne à tes sorties ?
Autant que possible. Quand on habite à Annemasse, on est tenté de monter la Colombière, Joux-Plane, la Ramaz... A Chambéry, c'est plutôt le Revard et d'autres cols. Il y a quantité de petites routes, que je découvre encore. A quinze kilomètres des appartements, il y a des chemins très sympas que je ne connaissais pas jusqu'à ce que je m'entraîne pour le prochain Tour de Savoie Mont-Blanc. Il faut remercier Patrice Pion [l'organisateur de l'épreuve] de nous faire explorer la région dans tous les sens !
Pour ta part, tu essaies de rouler toujours dans de nouveaux coins ?
Mais oui ! Dès que je vois une belle route qui serpente à flanc de montagne sur Open Runner, je l'ajoute à un circuit. Franchement, grimper un col en plein été, c'est un bonheur... Cette sensation d'air frais qui augmente à mesure que tu t'approches du sommet, c'est un régal ! Alors, oui, j'assume mon goût pour la montagne et je profite du cadre naturel des Alpes. Même s'il n'y a pas que la montagne dans la vie !
« CONTENT D'APPRENDRE DE NOUVELLES CHOSES »
Tu veux dire que tu essaies de travailler sur d'autres terrains ?
Pour être un bon coureur, il ne suffit pas d'être un bon grimpeur. Les courses de cols sont minoritaires au calendrier. Et, pour atteindre la montagne dans de bonnes dispositions, il ne faut pas tomber dans les pièges sur les routes plates. Au CCF, on développe l'idée de polyvalence. C'est comme ça que je me suis retrouvé dans une course à bordures l'an passé, sur la Classique Champagne-Ardenne, la finale de la Coupe de France DN1. A la pédale, j'étais devant. Mais j'ai sauté sur une erreur technique. Je m'en suis voulu. Alors, je me suis accroché cette année sur des courses plates, comme la Boucle de l'Artois et le Grand Prix de Nogent-sur-Oise. J'étais le seul grimpeur de l'équipe, alors j'ai observé les autres. Jaap [De Jong] a une culture des bordures, Benoît [Cosnefroy] a la fibre des classiques, Nans [Peters] et Etienne [Fabre] sont très forts sur le plat... Ils mettent la barre très haut et je me sens tiré par leur niveau d'exigence. A leurs côtés, je progresse.
Tu te diversifies uniquement par nécessité ?
Non, je suis content d'apprendre des nouvelles choses ! Dans le vélo, on se met assez de freins comme ça. Je ne veux pas faire de complexes sur les courses qui ne sont pas à ma portée.
Le seul truc que tu ne fais pas « au millimètre » : le rangement de ta chambre. Il paraît qu'elle est sens dessus-dessous ?
Ah oui... C'est un problème, ma chambre est mal rangée. Mais dès qu'il est question de vélo, je deviens un autre homme ! [rires]
Crédit photos : Aubin Lipke et Floriane Verne