La Grande Interview : Pierre-Yves Chatelon

Crédit photo Zoé Soullard - DirectVelo

Crédit photo Zoé Soullard - DirectVelo

Ski de fond, biathlon, ski alpin, randonnée en raquettes… Au milieu de ses coureurs, Pierre-Yves Chatelon a donné de sa personne cette semaine à l’occasion du stage à la neige de l'Équipe de France Espoirs. Le sélectionneur, qui a réuni un groupe de dix éléments avec de nombreux néophytes (voir ici), tente de construire un collectif pour briller en 2019. Entraîneur des Juniors français puis des Espoirs depuis 2013, “PYC” n’est pas du genre à ressasser le passé. "Parfois, j’ai même du mal à faire des débriefings. Une fois que c’est passé, c’est passé. Je préfère me projeter dans le futur", assure-t-il.
A 47 ans, l’homme amoureux de la nature se dit fier d’accompagner la relève du cyclisme français. “Mais si un mec devient Champion du Monde, ce n’est pas grâce à moi. C’est son destin”, estime-t-il.

DirectVelo : Que se dit selon toi un coureur de 19 ans que tu sélectionnes pour la première fois ?
Pierre-Yves Chatelon : Que je suis vieux ! Il y a, je pense, une certaine forme de respect. Mais je ne veux pas que le coureur ait peur de moi. Le respect ça compte mais j’ai plus envie qu’il se dise que je paie de ma personne pour faire les activités avec eux.

Participer aux activités physiques avec les coureurs pendant les stages, c’est la patte Chatelon… Pourquoi le fais-tu ?
Pour être proche d’eux, pour désacraliser ma mission. Plus je vieillis, plus j’en fais. J’aime rouler avec les mecs même si je suis un solitaire dans ma pratique sportive. En participant aux activités, le rapport humain est différent. Pour le faire, il faut un minimum de condition physique.

« J’AI ATTEINT MES LIMITES MENTALES »

Tu t’es lancé plusieurs défis ces derniers mois...
Pour la première fois, j’ai fait un raid en novembre dernier à la Réunion, le Raid in France. Il se court par équipes de quatre, avec obligatoirement au moins une féminine. Ma soeur, Anne, est dans le milieu des raids depuis 20 ans. J’avais envie d’en faire un. Elle a voulu monter une équipe familiale, alors on a fait ça avec ma soeur, un de mes frères et un de mes neveux. C’était une superbe expérience même si j’avais les pieds défoncés et que nous avons eu le mal de mer en raison des creux. C’est une fierté même si nous ne sommes pas allés au bout.

Que recherches-tu là-dedans ?
Le dépassement de soi. J’ai atteint mes limites mentales pendant ce raid. Ça m’aide dans mon métier de sélectionneur. Ça a valeur d’exemple pour les jeunes coureurs. Je peux être parfois exigeant avec eux mais ils savent que je le suis avec moi-même. Peut-être que mon investissement physique instaure un certain respect. Je ne le fais pas forcément pour la performance. Avec mon frère, nous nous sommes dits qu’il fallait organiser un raid contemplatif où, au lieu d’aller poinçonner une balise, tu fais une belle photo ! Au milieu du premier trek, on était en haut du Piton des Neiges, à 3000 mètres d’altitude. Tu es “gazé” au sommet, tu poinçonnes ta balise et tu fais demi-tour. Tu ne profites pas des lieux. A choisir, j’ai plutôt envie de faire le GR 20 en Corse ou le Tour du Mont-Blanc.

C’est pour cette raison qu’en septembre dernier, à l’issue du Mondial, tu es rentré seul à vélo d’Innsbruck ?
Pendant des années, je me suis dit que je devais rentrer d’un long déplacement en vélo. Mon fils aîné est étudiant à Gap (Hautes-Alpes). J’ai profité d’être à Innsbruck, de l’autre côté de l’arc alpin, pour faire le trajet à vélo. J’en ai parlé à des gens avant pour ne pas me dégonfler. On m’a dit que je n’avais que de la gueule. Par fierté, je l’ai donc fait. J’avais une sacoche sous la selle et un petit sac à dos de trail. Je suis parti le lundi matin sous la pluie, il faisait 4°… Je suis passé à Andermatt, à l’Oberalppass, au Furkapass, dans la vallée de Sion, à Martigny, à la Forclaz, aux Montets, à Chamonix, à Passy chez Bernard Bourreau, à Domancy, à la Madeleine, au Glandon… C’était magnifique. J’ai fini par les cols d’Ornon puis de Bayard. Je suis arrivé à Gap au bout de cinq jours. J’étais cramé mais fier de moi. Je suis allé au bout de mon truc.

« JE N’AIME PAS DU TOUT LA COMPÉTITION »

N’est-ce pas paradoxal d’être solitaire quand on dirige un groupe ?
Il y a un autre paradoxe chez moi, je n’aime pas du tout la compétition. Je n’ai pas envie de me mesurer aux autres alors que mon boulot est que les jeunes dont je m’occupe soient meilleurs que leurs adversaires. Mais il y a tellement de compétition dans la vie... Aujourd'hui, il faut avoir une plus belle maison et une plus belle voiture que le voisin.

Tu aimes beaucoup la nature...
Oui, pour le calme. C’est mon côté solitaire. J’habite dans le Limousin. Quand je rentre d’un déplacement, je me ressource chez moi. J’aime bien jardiner, bricoler à la maison… Je suis un terrien, un campagnard.

Comment se retrouve-t-on à vivre à Saint-Léonard-de-Noblat ?
J’ai été CTR pendant quatre ans en Bretagne, de 1997 à 2001. Mon épouse, Maryline, est Corrézienne. Après la Bretagne, nous avons voulu nous rapprocher de nos familles respectives. Nous attendions notre troisième enfant et finalement nous avons eu des jumeaux. Nous vivions dans un premier temps de l’autre côté de Limoges. Puis avec l’arrivée des jumeaux, nous avons dû changer de maison et de voiture. Mais je n’ai pas changé de femme ! Le marché de l’immobilier a fait que nous nous sommes installés à Saint-Léonard-de-Noblat. Ce n’est pas en raison de la présence de Raymond Poulidor !

Tu le croises souvent dans le village ?
Un peu moins ces derniers temps. Mais il va toujours acheter son journal ou va à La Poste avec son vieux VTT. Il a une haie de troènes, en face du collège, et il la taillait encore lui-même il y a quelques années... C’était impressionnant.

Il sait qui tu es ?
Au début, pas vraiment. Puis nous avons appris à nous connaître notamment sur les cyclo-cross, quand j’étais sélectionneur national et que Mathieu Van der Poel (petit-fils de Raymond Poulidor, NDLR) était dans les catégories de jeunes. L’an dernier, nous sommes montés ensemble, en train, à la présentation du Tour de France. C’est marrant de voir les gens faire une photo avec lui. Il reste un mythe !

Est-ce que les gens font une photo avec Pierre-Yves Chatelon ?
Pas du tout !

« NE PAS FAIRE CE MÉTIER POUR LA RECONNAISSANCE »

T’estimes-tu reconnu à ta juste valeur ?
Je pense que oui par les collègues des nations étrangères et par beaucoup de coureurs notamment les pros actuels avec qui j’ai travaillé. Mais peut-être pas toujours les instances. Il ne faut pas faire ce métier pour la reconnaissance sinon tu arrêtes tout de suite.

Est-ce frustrant ?
Oui, il y a de la frustration. Ma plus grosse frustration, c’est quand il y a eu l’appel aux candidatures pour être sélectionneur national des pros, en 2017. J’ai postulé mais je n’ai pas été reçu pour défendre mon projet. On m’a juste dit que je n’avais pas le profil. J’aurais aimé qu’on m’explique pourquoi. Mais la reconnaissance des coureurs me suffit. J’ai bien conscience que ça peut s’arrêter du jour au lendemain si je ne plais pas à des gens qui sont au-dessus de moi.

Aujourd’hui, te verrais-tu partir sur autre chose que le vélo ?
Oui, complètement. J’y ai surtout pensé le jour où il y a eu l’annonce de la suppression des 1600 postes de cadres techniques par le ministère des Sports. Ce sont nos emplois.... A un moment donné, ça donne moins envie de se battre pour garder sa fonction. Pourquoi pas faire autre chose plus proche de la nature ?

Et rejoindre une équipe professionnelle ?
Quand j’étais jeune coureur, je voulais faire une carrière chez les pros. Aujourd’hui, ça m’attire car je reste un passionné. Je regarde les courses de vélo à la télévision. L’été dernier, je suis allé voir des étapes du Tour de France dans les Pyrénées avec mes enfants. Nous avons dormi dans la tente. Pour éviter une possible routine, ça m’intéresserait donc de découvrir de nouvelles épreuves, avec d’autres enjeux et d’autres moyens. Ça serait intéressant pour une évolution de carrière d’être dans une structure où il y a plus de moyens que dans une fédération, où on doit se demander combien de coureurs on peut emmener en stage. Vivre une expérience chez les pros me tente même s’il est sûr que je gagne bien ma vie à mon poste actuel. Et que pour moi, l’essentiel reste que ma famille vive bien.

Pourquoi n’y es-tu pas encore ?
Je n’ai pas trop prospecté même si j’ai eu quelques touches ces dernières années. J’ai plus ou moins dit que je pouvais être sur le marché. Chez les pros, on se dit peut-être que ça serait dommage de m’enlever d’où je suis alors que ça marche plutôt bien. Je me pose aussi des questions. Il n’y a qu’un sélectionneur national pour les Espoirs alors qu’il y a plein de directeurs sportifs chez les pros… J’ai une place privilégiée. Je n’ai pas le sentiment que les gens des équipes pros veulent venir me chercher. Ça serait donc plutôt à moi d’aller vers eux. J’ai commencé à le faire mais je n’ai pas non plus envie de me prostituer. J’ai des compétences à faire valoir chez les pros, notamment l’accompagnement des jeunes coureurs. Il y a plein de choses à faire. Je ne voudrais pas aller chez les pros et faire ce qu’il se fait déjà.

Penses-tu donc prospecter un peu plus ?
J’approche de la cinquantaine. C’est un tournant. Je ne me vois pas être entraîneur national jusqu’à la retraite. Si je dois prendre un risque, c’est le moment ou jamais. Si ça doit se faire, ça sera dans les trois-quatre prochaines années.

GALLOPIN, PETERS ET... VINOKOUROV

Après plus de 20 ans à la tête de comités régionaux et des Equipes de France Juniors puis Espoirs, quelle serait ton équipe type ?
Je prendrais Tony Gallopin, Julian Alaphilippe, Christophe Le Mével, Nans Peters, Alexandre Vinokourov et Thibaut Pinot. Ce sont tous des gens avec des qualités humaines. Tony a reçu une belle éducation. J’adore discuter avec son père, Jojo (Joël). Tony a une carrière exemplaire. Son kiff’ serait d’être sélectionneur national des Juniors. C’est le premier coureur que j’ai accompagné qui a pu émerger au niveau international. Christophe, je l’ai guidé en Bretagne quand il est passé du VTT à la route. C’est un super mec, “fun” comme on disait à l’époque. Je suis très attaché humainement à Julian. Quand je l’ai sélectionné pour la première fois pour un stage de cyclo-cross, à Périgueux, il découvrait tout. Il disait toujours “merci monsieur de m’avoir sélectionné”. Quelques jours plus tard, il gagne à Heusden-Zolder pour sa première manche de la Coupe du Monde. Il est spontané. Dans mon équipe type, je ne mets pas de leader mais des mecs avec qui on a envie de passer du temps. L’aspect humain est important pour moi. Nans Peters répondait toujours présent. Il n’avait pas forcément de gros moyens physiques mais toujours beaucoup d’envie. C’est le capitaine de route d’une génération. C’est quelqu’un de très intéressant. Tout comme Thibaut Pinot, un garçon proche de la nature.

Pourquoi Alexandre Vinokourov ?
Il m’a beaucoup appris dans ma fonction de cadre. J’ai eu le privilège de le voir arriver en France, en 1997. Avant de partir au comité de Bretagne, j’ai fait une année à Saint-Etienne, où je m’occupais un peu du Pôle Espoirs, un peu du club et un peu du comité départemental de la Loire grâce à Pierre Rivory, mon éducateur de toujours. Alex venait pour réussir. Il te demandait le nombre de points UCI avant le départ d’une course. Il était très professionnel. Il a apporté énormément à beaucoup de monde. Ils n’avaient que le vélo pour réussir. Je dis ils car il y avait Kivi (Andreï Kivilev, NDLR). Ça m’a marqué. Je n’ai jamais eu l’occasion de reparler avec Alex mais je pense qu’on aurait encore des choses à se dire.

Aurais-tu imaginé avoir ce parcours là quand tu as commencé à encadrer ?
J’ai débuté par un contrat de coureur et d’éducateur, en 1996, au CR4C Roanne. J’encadrais les jeunes d’une structure qu’on avait pompeusement appelé le Centre de formation du CR4C Roanne. Dans l’effectif, il y avait notamment Julien Jurdie. Comme je le disais, j’avais l’ambition de passer professionnel en tant que coureur. Je m’étais laissé jusqu’à mes 25 ans pour y parvenir. L’échéance est arrivée en 1996. Il était temps que je me retourne vers autre chose. J’avais déjà passé mes diplômes d’éducateur pendant mes années de coureur. J’avais cette corde à mon arc. J’avais très envie de m’investir dans le vélo.

Bosser dans le vélo était une évidence ?
Non, pas forcément. Je m’étais inscrit à des concours de technicien des parcs nationaux mais j’ai réussi le concours de professorat de sport. Je suis parti dans cette voie mais je n’avais pas que ça en tête.

UN BON RESTO APRÈS UN TITRE

Si ça devait s’arrêter aujourd’hui, quel est le moment que tu retiendrais dans ta carrière de sélectionneur ?
C’est dur de dégager un moment. Il y a forcément tous les titres… Le premier reste le plus marquant. Pour moi, c’était le titre de Champion du Monde Juniors de Johan Le Bon, au Cap (Afrique du Sud), en 2008. Je l’apprécie d’autant plus avec le recul qu’iI y avait dans l’équipe Thibaut Pinot et Romain Bardet, et comme adversaires Peter Sagan et Michal Kwiatkoswki. A l’époque, le Mondial Juniors n’était pas en même temps que celui des pros. J’apprécie toujours de me retrouver avec mon collectif, loin de tout. Les Mondiaux actuels, avec tout le monde, me pèsent parfois un peu. Je kiffe moins…

Pourquoi ?
Toujours en raison de mon côté solitaire. J’aime bien fonctionner avec mon groupe, un staff très réduit et quand ça se passe bien, fêter une victoire entre nous.

On ne t’imagine pas fêter un titre avec tes coureurs...
J’aime bien fêter un titre dans un bon resto. Mais quand ça part sur de la beuverie, je me mets en mode off. C’était le cas à Bergen (Norvège) après la victoire de Benoît Cosnefroy. Les kinés sont bons pour ça, ils me remplacent ! Moi, je bois de moins en moins d’alcool.

C’est dur de gagner ta confiance ?
Non. Dans mon staff, je prends quelques nouveaux mais quand ça se passe bien, pourquoi changer ? Quand on m’interroge sur mes satisfactions, il y a aussi le fait d’avoir créé un pool de kinés. On aime bien bosser ensemble. Je sais aussi m’amuser ou boire un verre avec eux. D’ailleurs, je vais être invité au mariage de Simon (Beaufils, l’un des kinés) cette année.

Est-ce que ta femme connaît Benoît Cosnefroy ou David Gaudu ?
Elle les connaît de nom car elle suit les résultats. Mais je débranche à la maison même si je passe du temps à bosser sur l’ordinateur. En famille, je ne suis plus dans le boulot. Mais j’ai toujours l’envie de repartir dans la saison après la pause hivernale. Je suis content de revenir sur les stages mais si je n’avais plus ça, je ne serais pas non plus traumatisé de faire autre chose. Comme bûcheron dans la Creuse ou gardien de refuge en Savoie !

En fait, tu n’es pas né à la bonne époque ?
Je me suis trompé de siècle ! Vivre sans électricité et aller prendre de l’eau au puit est une expérience qui me tenterait pendant un petit laps de temps.

C’est pour ça que tu as instauré la “corbeille” à table ?
A table, c’est un moment de vie commune. Je trouve aberrant d’avoir parfois tout le monde sur son téléphone. Le coup de la corbeille, où chacun doit poser son téléphone avant de manger, je l’ai encore fait pour Noël lors d’un grand repas de famille. La dernière génération était toute sur le portable. J’ai fait le tour avec la corbeille. J’ai de plus en plus de mal avec ça...

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