La Grande Interview : Dominique Pezard
Dominique Pezard a fait ses comptes. Ce week-end, le manager du Team Podiocom CC va participer à son 51e Championnat de France de cyclo-cross. Depuis 1969, ce passionné de la discipline en a manqué un seul. “J’ai toujours fait en sorte d’accompagner un ou deux coureurs pour être présent”, reconnaît-il. À 66 ans, le fils de Serge, président emblématique du CSM Persan, fourmille encore d’idées pour une discipline qu’il chérit tant. Et où il s’y retrouve aujourd’hui bien plus que sur la route, lui qui a conduit pendant plus de vingt ans les voitures d’Amaury Sport Organisation.
DirectVelo : Cette semaine est une semaine de Championnat de France de cyclo-cross !
Dominique Pezard : Il n’y a pas de stress. Le Team Podiocom CC va plutôt bien. Nous avons des espoirs avec Marlène (Petit) et Marine (Strappazzon) pour la course féminine. On espère un Top 5 chez les Espoirs avec Ronan Auffret et Thomas Gachignard. Ça sera plus complexe pour nos autres coureurs (Nicolas Toulouse et Simon Lepoittevin-Dubost, NDLR). C’est notre première année d’existence avec Podiocom comme partenaire principal. Je pense que cette saison va en appeler d’autres d’après ce que m’a dit le PDG de Podiocom. J’ai pris le temps de regarder cette semaine : mon premier Championnat de France, où j’étais présent comme mécanicien, remonte à 1969. Depuis, j’en ai loupé un seul, c’était à Versailles, en région parisienne, en 1979. Le compte est vite fait, ça sera ce week-end mon 51e Championnat de France de cyclo-cross.
Pourquoi as-tu manqué ce Championnat de France en 1979 ?
J’étais en colère à cette époque-là contre les frères Blanchardon (coureurs du CSM Persan, NDLR), pour une raison que je ne citerai pas. J’avais dit à mon père que je n’irais pas à ce Championnat de France-là. En fait, j’ai toujours fait en sorte d’accompagner un ou deux coureurs pour être présent au Championnat de France. Aujourd’hui, j’ai la chance de travailler avec des moyens financiers, humains et matériels qui font que je n’ai pas à rougir de ce que je fais dans le cyclo-cross.
« ME BATTRE ENCORE POUR LE CYCLO-CROSS »
Qu’est-ce que tu aimes tant dans le cyclo-cross ?
Je vais donner un exemple. Samedi dernier, au cyclo-cross de Troyes, il y a eu un moment de convivialité avec Clément Venturini. Vous pouvez demander à Francis Mourey et aux gens ce qu’ils pensent de Dominique Pezard. Je rends beaucoup de services quand on me le demande. J’essaie d’avoir un maximum de convivialité avec les autres équipes, les journalistes ou encore les commissaires. Nous sommes tous dans la même discipline. Je vais essayer de me battre encore pour le cyclo-cross.
Quelles sont tes prochaines envies ?
J’aimerais que la fédération fasse une demande à l’Olympisme. C’est scandaleux, quand on voit le monde sur les manches de la Coupe de France, sur les épreuves en Belgique et Pays-Bas, de ne pas avoir le cyclo-cross aux JO. Et dire qu’on aura le Hip-Hop aux JO de Paris en 2024… Je veux bien mais bon... J’ai encore d’autres idées.
Comme ?
Je veux essayer d’organiser prochainement une réunion avec les Teams et la Fédération Française de Cyclisme pour avoir en 2021 une sorte d’EKZ CrossTour ou SuperPrestige chez nous. J’aimerais bien que les Teams se retrouvent sur les mêmes courses du calendrier français. Qu’est-ce que ça nous apporte d’aller faire 38e à Hoogerheide ou à Coxyde sur une Coupe du Monde ? Un jeune doit disputer ce genre de courses pour voir ce que c’est, mais on est aujourd’hui dans la folie des points UCI. Il y a des organisateurs qui font de gros efforts en France…
Tu ne manques donc pas d’idées...
Quand tu es motivé à faire une chose, et qu’on te donne des moyens humains et financiers… Il y a des choses qui sont aberrantes. Il faut vivre avec son temps. On peut travailler différemment avec les réseaux sociaux. Notre compte Facebook est très suivi !
Que trouves-tu aberrant dans le cyclo-cross ?
Le peu d'intérêt que la FFC nous accorde. J’ai souhaité qu’on fasse un team UCI pour que nos féminines puissent courir avec le maillot de Podiocom en Coupe du Monde. Mais de l’autre côté, le pauvre François Trarieux (entraîneur national, NDLR)... Je ne vais pas dire qu’il met sa carte bleue en jeu mais presque… Ce n’est pas normal. On va dépenser des milliers d’euros pour la piste et le BMX, mais pas pour le cyclo-cross. Tout cela car nous ne sommes pas aux JO. Mais si personne ne le demande…
Pour toi, le cyclo-cross a donc sa place aux JO...
Il y a des cyclo-cross au Japon, aux Etats-Unis, en Italie, en Espagne, en République tchèque… Peu importe que ce soit aux JO d'été ou d’hiver. Si on arrivait à passer ce palier, ça aiderait beaucoup de monde. Par exemple, je pourrais avoir des subventions. Aujourd’hui, je n’ai rien car nous ne sommes pas aux JO. On fait pourtant parler de la ville, du département et de la région.
« ON PEUT SE RETROUVER AUTOUR D’UN VERRE »
Comment penses-tu être perçu dans le milieu du cyclo-cross ?
Aujourd'hui, quand on parle de Pezard dans le cyclo-cross, c’est synonyme du CSM Persan, de Montrichard et du Team Podiocom. J’ai des contacts privilégiés avec les organisateurs car j’ai toujours été réglo avec eux. Je peux me permettre de demander quelque chose à un organisateur même s’il ne l’a pas prévu. Je ne veux pas changer ma personnalité. Il m’arrive d’avoir des sautes d’humeur mais une demi-heure après, on peut se retrouver autour d’un verre.
Qu’est-ce qui peut t’énerver ?
Au sein de l’équipe, il ne faut pas faire quelque chose dans mon dos. Sinon, j’ai organisé un cyclo-cross à Montrichard (Loir-et-Cher), le 22 décembre dernier. J’aide beaucoup de gars dans le coin et ils ne sont pas venus courir. J’avais 17 coureurs au départ ! Pour ces coureurs-là, c’est fini quand ils viendront me demander un coup de Karcher. Il faut avoir un peu de respect. On défend chacun nos chances, mais je n’ai pas honte d’aller féliciter un Steve Chainel et un Antoine Benoist. Ces gars-là s’arrêtent toujours pour me dire bonjour quand ils passent à côté de moi.
Est-ce une fierté ?
Oui, c’est une fierté. Ça montre qu’ils me respectent. C’est aussi le cas de Francis Mourey, Julien Roussel qui va raccrocher dimanche, Clément Russo, Kévin Ledanois… J’ai envoyé un SMS à Kévin après sa victoire, dimanche dernier, à Sablé. Il m’a répondu à 22h “merci coach”. C’est une anecdote que je trouve sympa, mais je ne vais pas aller rouler ma caisse pour autant. Il y a un routier d’une équipe française WorldTour qui m’a déçu dernièrement. Un gars qui ne dit pas bonjour à tout le monde… J’en parlerai à son manager. Ça ne coûte rien de dire bonjour.
Surtout que tout le monde connaît Dominique Pezard dans le milieu du vélo !
Je connais bien le milieu pro également. J’ai été pendant plusieurs années sur le Tour de France, comme pilote. Quand j’étais au même hôtel que son équipe, Monsieur Alejandro Valverde s’arrêtait pour me dire bonjour. C’est pareil pour Philippe Gilbert.
Le Tour de France te manque-t-il aujourd’hui ?
J’ai besoin de repos désormais, je me ressource chez moi, à Montrichard. Cette année, je vais peut-être encore aller au Tour du Haut-Var, au Tro Bro Léon ou au Tour de l’Ain. Mais les courses sur route ne me manquent pas trop. À l’inverse d’un Valverde, il y a certains coureurs qui n’ont jamais rien gagné dans leur carrière et qui refusent un autographe à un gamin, ou qui ne veulent pas enlever leurs lunettes au départ d’une course. C’est le “nouveau” vélo…
« JULIAN ALAPHILIPPE M’A FAIT VERSER UNE PETITE LARME »
Qui ne te plaît pas beaucoup...
Je ne m’y retrouve pas. J’en ai parlé avec Eddy Seigneur, un ancien Champion cycliste qui est désormais chauffeur de taxi. Un directeur sportif ne commande plus rien aujourd’hui. Il passe après l’entraîneur et le préparateur physique dans une équipe. Si tu demandes à un coureur de se replacer dans le peloton, il va commencer par regarder son “cardio”. En revanche, j’apprécie la façon de courir d’un Alaphilippe. Il court sans calcul. Je pense qu’il aurait pu gagner le dernier Tour de France. Il n’aurait peut-être pas dû bouger sur certaines étapes et se serait ainsi économisé, mais c’est son tempérament. Julian, je l’ai aidé par le passé alors quand il a pris le maillot jaune sur le Tour, j’ai versé ma petite larme. Pareil quand il a gagné Milan-San Remo. C’est comme ça !
Il est l’un des coureurs qui t’a le plus marqué ?
Dans la nouvelle génération, c’est Julian qui m’a le plus marqué bien sûr. Dans l’ancienne, Dominique Arnould avec qui je suis encore lié. Lors du dernier Tour de Vendée, Jean-René Bernaudeau est venu me faire la bise alors qu’il était en train de parler à des personnes. Il fait partie des gens qui ont fait le vélo. Chapeau à lui et à Marc (Madiot) pour la longévité de leur équipe. Et même s’il y a aujourd’hui des gros salaires, ils considèrent encore leurs coureurs comme leurs enfants. J’apprécie ça.
C’est l’esprit Pezard...
Oui, c’était pareil avec “le” père. Quand un coureur partait de Persan et qu’il avait un coup de cœur pour lui, c’était très compliqué pendant une semaine. Il a eu un cancer qui a débuté quand l’entreprise BIC lui a annoncé qu’elle arrêtait son partenariat. Ce n’est pas du cinéma, mais la vérité. Les cancers sont déclenchés par différentes choses. Et pour lui, il a été reconnu que c’était suite à une contrariété importante. Et c’était sa seule contrariété du moment…
On doit encore beaucoup te parler de ton père...
Dominique, c’est le fils de Serge. C’est une fierté pour moi. Ça me fait mal de voir que son ancien club n’est plus à la hauteur. J’ai organisé un truc pour les 20 ans de son décès il y a deux ans et personne du CSM Persan n’a fait le déplacement…
Tout ce que tu fais aujourd’hui, c’est pour ton père ?
Oui. Nous avons une petite “entreprise” aujourd’hui avec le Team Podiocom. Je n’ai pas à rougir. On part à six coureurs aux Championnats de France, avec trois mécanos, un kiné, un ostéo et deux assistants complémentaires. C’est la preuve que tout roule. Pour la suite, j’attends la réponse définitive, en mars, de Podiocom. Pour cette saison, ça s’est fait tard et il est difficile dans ces cas-là de bosser sereinement.
« PAS FAIRE COMME ROBERT MARCHAND »
Pourquoi n’as-tu jamais cherché à travailler à plein temps dans le vélo ?
Ça vient du père Pezard ! Il m’a dit de garder mon boulot à côté des vacations avec le club, au cas où ça n’allait plus dans le vélo. Chez ASO, c’était du plus par rapport à mon boulot. Je travaillais aux impôts. J’ai dû passer devant une commission pour avoir l’accord de mon employeur pour bosser, à côté, chez ASO. J’ai facilement eu l’autorisation.
Comment t’es-tu retrouvé à conduire des voitures en course ?
J’ai un ami médecin, Alain Mazaud. Il m’a fait rentrer comme pilote-médecin sur le Tour féminin. Ensuite, j’ai fait jusqu’à 110 jours de course par an pour ASO. Pendant ce temps-là, je n’étais pas payé par les impôts. J’ai été responsable du carburant, puis j’ai piloté Christian Fabre qui était responsable du “garage”. Jean-François Pescheux dirigeait alors la boutique et t’appelait pour demander ce que tu voulais faire.
Il a fallu tourner la page du Tour de France…
En 2010, dans un hôtel, Monsieur Christian Prudhomme m’a demandé s’il pouvait déjeuner avec moi. Je lui ai répondu que c’était un honneur. C’est le dernier Tour que j’ai fait en totalité. Je n’avais plus l’envie de continuer. À ce moment-là, j’étais également responsable des pilotes au Championnat de France route. Ça faisait un gros enchaînement de près de cinq semaines. Moralement, ce n’était plus possible. J’ai terminé sur le Tour avec des remplacements jusqu’en 2013, et ça m’allait bien.
Mais c’est une vie bien différente quand ça s’arrête...
Je suis à la retraite depuis un petit moment, tout comme mon épouse. En 40 ans de vie commune, nous n’avions pas pris l’habitude d’être toujours ensemble. Alors ça tombe bien que le vélo soit encore là (sourires). Aujourd’hui, je m’embête plus à rouler toute la nuit avant ou après une course. J’y vais une journée plus tôt et je repars le lendemain. Il faudra bien qu’un jour ça se termine. Je ne vais pas faire ça jusqu’à 90 ans et faire comme (Robert) Marchand. Ça serait trop !
Ta femme aime-t-elle le vélo ?
Plus maintenant. Ça plus ça, plus ça, plus ça… Un de mes deux fils est pilote au Tour. Antoine travaille chez Décathlon, dans la partie cycles. L’autre est chef cuisinier dans un gastro, à l’hôtel-restaurant Tatin, à Lamotte-Beuvron (Loir-et-Cher). Il va nous faire à manger samedi et dimanche midi. On va amener le barbecue à Flamanville.