Tour de la CEE 86 : Indurain lève le voile

Crédit photo ASO - Pauline Ballet

Crédit photo ASO - Pauline Ballet

Après le vent, le brouillard (lire l'article précédent). "Une journée pourrie", résume Patrice Esnault. L'étape pyrénéenne Pau-Luz Ardiden, via l'Aubisque, se court dans un coton à couper au couteau. Un troupeau de moutons s'égare dans la descente de l'Aubisque. L'Italien Marco Votolo chute dans la descente du Soulor. Il évite le ravin mais pas son vélo, perdu à plus de 100 mètres en contre-bas.

INDURAIN SÈME DES INDICES

Dans la descente, Jaanus Kuum, coéquipier de Roy Knickman maillot jaune, joue sa carte personnelle, mais il est rejoint avant le pied de Luz Ardiden par un autre descendeur émérite, Miguel Indurain. Le grand Miguel sème des petits cailloux et des indices pour l'avenir. Sa tactique annonce celle de Cauterets en 1989 et de Val Louron en 1991.

Patrice Esnault, vainqueur de Nice-Combloux (qui deviendra le Tour de l'Ain) et du Trophée Sitram fin août-début septembre, rejoint le duo de tête en compagnie du grimpeur espagnol Laudelino Cubino. "J'attaque au pied de Luz, je pense gagner l'étape mais Cubino revient de derrière. Son directeur sportif l'a secoué pour qu'il se bouge. Sans ça, je gagne l'étape. Je fais une belle remontée au général, c'était un bel exploit de finir 2e".

Jaanus Kuum, 3e, n'a pas attendu Roy Knickman son coéquipier de La Vie Claire. En revanche, toute la journée le Suisse Guido Winterberg joue le Saint-Bernard pour le maillot jaune qui sort cinq minutes de sous son matelas. Il conserve la tête mais avec 5'25" d'avance sur Miguel Indurain, 4e de l'étape, là où il s'imposera en juillet 1990, au Tour de France. Patrice Esnault remonte à la 6e place à 6'06".

LE MAILLOT JAUNE ABANDONNE

Depuis le départ de Porto, la course est passionnante mais épuisante. Roy Knickman a fourni de gros efforts pour prendre puis défendre le maillot jaune. Souffrant de maux de ventre, il est miné par un virus. Il s'écroule dans le contre-la-montre autour de Carpentras, sous le soleil revenu. Le matelas de Salamanque devient peau de chagrin. Pour la troisième année de suite, Miguel Indurain gagne l'épreuve de vérité. Le futur quintuple vainqueur du Tour porte le maillot vert grâce à sa régularité surtout motivée par les bonifications aux trois premiers des étapes de plat. En 27,5 km, il reprend 3'07" au leader. Patrice Esnault est son adversaire le plus proche à 29". "C'était moins une surprise que ma place de Luz Ardiden car c'était ma spécialité depuis les Juniors, y compris le contre-la-montre par équipes. Je limite bien la casse par rapport à Miguel Indurain. Je commence à croire au podium (à 1'10" d'Indurain) mais à aucun moment je ne pense pouvoir gagner", analyse l'Orléanais.

Roy Knickman ne verra jamais les Alpes. Ses dernières forces ne sont plus suffisantes pour suivre le peloton. La pile du sociétaire de La Vie Claire-Wonder est à plat. Il abandonne au ravito entre Carpentras et Gap. "Son abandon, c'est une aubaine, sinon, on n'était vraiment pas sûr de pouvoir le déloger", estime Patrice Esnault qui gagne une place au général. Miguel Indurain aborde donc les cols alpestres en jaune mais il n'a encore jamais prouvé ses capacités en montagne face aux grimpeurs.

L'étape Gap-Briançon sent la poudre avec l'ascension de l'Izoard. La course part plein pétrole : 46 de moyenne dans la première heure. Treize coureurs s'échappent dont Jérôme Simon et Bernard Richard, placés à trois minutes du leader. Bernard Richard va aller chercher le maillot violet de la combativité, une idée empruntée à la Course de la Paix depuis quelques années. Dans l'Izoard, Jérôme Simon se retrouve seul en tête mais Miguel Indurain doit laisser partir Patrice Esnault et Alexis Grewal. Le second, Champion olympique à Los Angeles, vient de quitter l'écurie américaine 7-Eleven et a retrouvé de l'embauche dans l'équipe française R.M.O. Il double Jérôme Simon et passe en tête au sommet de l'Izoard où il est leader virtuel.

« CE JOUR-LÀ, INDURAIN ÉTAIT PRENABLE »

Miguel Indurain ne s'affole pas et préfère monter à son train, aidé par le Colombien Abelardo Rondon, qui n'est pas encore son coéquipier. Il utilise la méthode qui sera la sienne par la suite et ne répond pas aux attaques. Mais dans la descente de l'Izoard, il lâche les chevaux, rejoint tous ses adversaires sauf Alexis Grewal qui descend le nez sur le boyau avant. L'Américain, vainqueur  au sommet de Briançon, remonte à la deuxième place.

Le lendemain, la dernière étape se découpe en deux tronçons. Le premier se termine au sommet de Sestrières. Patrice Esnault, maillot à pois rouges sur le dos, joue son va-tout pour reconquérir la deuxième place au général. "Je fais sauter Indurain et Grewal. Au pied de Sestrières, je compte 30" d'avance, avec mon équipier Jacques Décrion et Martial Gayant mais ma chaîne se coince entre le plateau et le cadre". En raison de l'écart, la voiture de son équipe n'est pas derrière lui. Le coureur de Kas doit s'arrêter en plein élan, réparer et voit le maillot jaune et son dauphin le doubler. En grande forme, l'Orléanais les rejoint et les dépose une fois encore pour aller chercher la 2e place du classement général. "C'est là où j'ai des regrets. Ce jour-là, Indurain était prenable. C'est un regret de ne pas savoir ce qu'il se serait passé sans ce saut de chaîne", regrette-t-il.

Mais la journée n'est pas finie. L'après-midi, il faut redescendre de Sestrière pour rejoindre Turin, terme de ce T.A. C.E.E animé de bout en bout. "J'étais content quand on est arrivé en bas !", soupire le meilleur grimpeur de ce Tour.

Les étoiles européennes ont brillé dans ce Tour de l'Avenir version CEE qui a encore une fois parfaitement joué son rôle. "Indurain en montagne, c'était une surprise pour tout le monde, mais ma 2e place à Luz Ardiden aussi. Le Tour de l'Avenir sert aussi à ça", rappelle Patrice Esnault qui gagnera le Midi Libre l'année suivante. Roy Knickman n'a jamais retrouvé une telle ouverture dans une grande course. Mais aujourd'hui il dirige la meilleure équipe Juniors des Etats-Unis, Lux Development, celle de Quinn Simmons quand il est devenu Champion du Monde Juniors l'an dernier.

Mots-clés