François Trarieux : « Ça décomplexe tout le monde »

Crédit photo Hervé Dancerelle - DirectVelo

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Un titre avec Léo Bisiaux, une médaille d’argent avec Line Burquier, des Juniors 1ère année au rendez-vous chez les filles et les garçons, ou encore quatre concurrentes dans le Top 10 en Espoirs Femmes : l’équipe de France a brillé le week-end dernier à Namur à l’occasion du Championnat d’Europe de cyclo-cross. Alors que la France peut voir avec optimisme de la suite de la saison, DirectVelo fait le point avec le sélectionneur national François Trarieux.

DirectVelo : Quel sentiment domine après le Championnat d’Europe ?
François Trarieux : On a connu les plus belles émotions avec une médaille. C’est quelque chose d’avoir vécu la victoire de Léo (Bisiaux). Il n’y avait pas eu de titre européen en Juniors depuis Émilien Viennet en 2009. Le dernier titre en cyclo-cross, c’était Marion (Norbert-Riberolle) au Mondial Espoirs en 2020. Pour le Championnat d’Europe, il y a eu Mickaël (Crispin) en Espoirs il y a trois ans. La médaille de Line (Burquier), c’est l’aboutissement au niveau international de son implication dans le cyclo-cross. Elle a toujours tourné autour. Sa médaille a d’autant plus de valeur qu’elle a réussi à faire craquer dans le technique Shirin van Anrooij, qui venait de finir 3e en Élite en Coupe du Monde. La préparation de la saison n’est pas toujours évidente. Sur un Championnat, quand tu ramènes un titre et des médailles, il y a toujours de la satisfaction. Ça valide la manière dont les coureurs et le staff travaillent. 

Avais-tu ciblé ce Championnat avec certains coureurs ?
Avec les piliers, j’essaie de prendre les devants depuis l’été. Avec Line, on s’est appelé avant le Championnat du Monde de VTT. J'échange très régulièrement avec Philippe Chanteau, son entraîneur au Pôle France de VTT qui travaille aussi pour favoriser ce double projet sportif. Avec Léo et son entraîneur, Alex Pacot, on avait parlé après le Championnat de France de l’Avenir. L’objectif était d’être là à Namur. C’est satisfaisant quand ça paie et que le travail est bien fait par tout le monde. Mais il faut toujours prendre du recul par rapport à tout ça et garder la tête froide. On sait très bien que ça ne tient pas à grand-chose, il ne faut pas tirer des conclusions trop hâtives et bien rester dans la continuité du boulot effectué. Là, ça a payé pour nous. Il faut savoir savourer. Il y a eu des résultats prometteurs au-delà des deux médailles. Par exemple, on met quatre filles dans le Top 10 en Espoirs. 

« APPRENDRE À FAIRE DES CHOIX »

Tu dois avoir hâte d’être en janvier, avec le retour de la Coupe du Monde pour les jeunes puis le Mondial…
J’ai déjà bien identifié les coureurs avec lesquels je vais travailler sur la suite de l’hiver. À part Clément (Venturini), peut-être Romain Grégoire chez les Espoirs et deux-trois autres coureurs qui pourraient refaire surface, je dirais que le groupe a été identifié pour la suite de la saison. Les deux prochaines manches de Coupe de France seront déterminantes chez les Juniors pour boucler l’effectif. En janvier, il faudra monter en pression jusqu’au Championnat du Monde. Léo ne pourra pas courir sur tous les tableaux. Il est Champion d’Europe. Est-ce que la Coupe du Monde, même s’il est leader, est vraiment l’objectif ? Il faudra faire des choix. Chez les filles, j’ai trois J1 (Célia Géry, Anaïs Moulin et Amandine Muller, NDLR) qui sont aussi là pour préparer l’année prochaine, avec un Championnat d'Europe à Pontchâteau.

Il est crucial pour toi de ne pas courir tous les lièvres à fois ?
Si on analyse les choses, c’est compliqué en ce moment pour des coureurs présents au Mondial VTT, fin août, ou au Mondial route en Australie, fin septembre. Quinten Hermans était en Australie, il n'est pas au meilleur de sa forme actuellement. Hélène (Clauzel) était aux Gets puis a vite repris le cyclo-cross. L’articulation du calendrier doit être bien maîtrisée. Léo aurait-il gagné à Namur s’il avait été en Australie ? Line n'a repris qu'à Tabor et ça a marché. L’an prochain, si Amandine ou Célia veulent être compétitives à Pontchâteau, il ne faudra pas finir la saison sur route trop tard. Les coureurs doivent apprendre à faire des choix.

Pour les Élites, ça a été compliqué à Namur…
Chez les Élites, Joshua (Dubau) a été malade les quinze derniers jours d'octobre. David (Menut) a beaucoup couru en début de saison. Tous deux n’étaient pas dans leur meilleure forme. Encore une fois, ça ne se joue pas à grand-chose. Il faut rester prudent dans ce qu’on dit et dans la manière d’analyser les choses. Chez les Élites, ça a été compliqué en raison de l'enchaînement des objectifs, avec le VTT pour Hélène et Joshua. Anaïs (Morichon) a fait une grosse saison sur route. Pauline (Ferrand-Prévot) était là pour reprendre des automatismes dans la discipline. Le groupe Élite est capable de faire bien mieux, j’en suis persuadé. Je ne suis pas inquiet. 

« ILS FONT LEUR BOULOT ET AVANCENT »

Surtout avec le retour de Clément Venturini depuis l’an passé ou celui de Pauline Ferrand-Prévot cet hiver…
Revenir sur un one-shot, c’est compliqué. Pauline savait très bien qu’elle n’allait pas jouer les premiers rôles à Namur. Sa 7e place prouve aussi que le niveau est élevé même s'il est dénigré par certains. C’est très dense. Forcément, on a besoin de nos têtes d’affiche. Ce sont les stars qui font vivre la discipline. Aujourd’hui, dès les Juniors, quand un coureur est approché, la réflexion est un peu différente car il ne veut plus forcément faire qu’une discipline. Les équipes doivent se plier au choix des coureurs car certains ont tellement d’offres… La nouvelle génération est différente. On le voit avec Jan Christen qui était à Namur et qui est dans la structure UAE Team Emirates. On sait qu’avoir Pauline est un atout. Tout le monde parlait d’elle avant ce Championnat d’Europe. Les jeunes peuvent se dire que si Pauline le fait, c’est possible. Je suis ravi de son retour. 

Faut-il être optimiste pour le cyclo-cross français ?
Je suis confiant pour la suite. Il y a de très bons jeunes et de très bons Élites. Même s’il termine vice-Champion de France en J1, Léo était le sixième ou septième Français l’an dernier sur la saison. Aujourd’hui, il est Champion d’Europe après une grosse saison sur route et du gros travail technique. Autre exemple, jusqu’en Espoir 3, Joshua était toujours le troisième ou quatrième Espoirs français. Aujourd’hui, il est Champion de France Élite et a terminé 7e du Championnat d’Europe l’an dernier. Il faut garder en tête que la performance future n’est pas une science exacte mais qu’il n’y a que le travail sur la durée qui paie et qu’il faut de la densité pour être une nation majeure, en attestent nos concurrents directs.

Mais c'est toujours compliqué chez les Élites Hommes, qui restent la vitrine du cyclo-cross tricolore…
Bien sûr que j’aimerais avoir une plus grosse densité chez les Élites, mais le retour des équipes professionnelles françaises dans le cyclo-cross est déjà un bon signe. L’arrivée de têtes d’affiche telles que Pauline et Clément vont également nous tirer vers le haut pour la suite, j’en suis convaincu. On travaille pour que la génération actuelle s’installe dans la durée. Que certains tempèrent leur propos au sujet de nos Élites. On ne peut pas faire les choses à moitié. Chacun se donne les moyens avec son projet. Ils n’attendent personne pour se lever chaque matin, aller s’entraîner et se remettre en question. Ils se professionnalisent année après année avec leur structure, un calendrier très dense et de nombreux déplacements. Il y a plusieurs paramètres à gérer, en particulier les voyages. Certains font le sacrifice de s’installer en Belgique pendant plusieurs semaines. Ils font leur boulot et avancent. 

« ÇA PREND DU TEMPS »

Le titre de Léo Bisiaux, quinze jours après une victoire sur une manche de Coupe du Monde, peut-il servir de déclic pour d’autres athlètes français ?
Ça participe à prendre un ascendant psychologique sur d’autres nations. Ça met une dynamique en place. Il faut bouleverser la hiérarchie, chercher à aller plus haut. L’ambition nourrit l'ambition. Plus tu as de coureurs capables d’être dans les meilleurs mondiaux, plus tu vas chercher des résultats car ça décomplexe tout le monde. Il faut arrêter de toujours regarder à côté. Je n’ai pas besoin d’aller voir ce que font Pierre, Paul ou Jacques, il y a de la lucidité en équipe de France pour se dire les choses et travailler sur le projet des coureurs. On est Français, pas Belges ni Néerlandais. On a notre identité, des moyens différents. Analyser et parler, c’est bien un temps. Faire du cyclo-cross de haut niveau et se donner les moyens de réussir, ça prend du temps. Nous sommes actuellement la deuxième nation chez les Femmes, en Élites et en Espoirs. Chez les Hommes, nous avons obtenu nos meilleurs résultats l’an passé sur les Championnats internationaux depuis plusieurs saisons. On attend nos supporters en nombre à Besançon et à Hoogerheide. Les coureurs ont aussi besoin de leur soutien. 

Les coureurs louent souvent ton investissement, comment as-tu vécu à titre personnel ces médailles au Championnat d’Europe ?
Je l’ai déjà dit, il ne faut pas s’approprier le travail des personnes qui interviennent au quotidien avec les coureurs, comme les entraîneurs, les structures... Chacun a sa place et nous sommes là pour mettre les coureurs dans les meilleures dispositions au moment des enjeux les plus importants. Au-delà de l’équipe de France, il y a beaucoup de passionnés qui se donnent pour la discipline. Bien sûr, il faut savoir profiter du moment présent, c’est aussi le cas dans une autre mesure avec le comité de Nouvelle-Aquitaine (où il est CTR, NDLR). On a la chance de vivre des émotions. Je suis un privilégié, je vis de ma passion et j’essaie de la transmettre. Mais il faut garder une certaine retenue, les enjeux s'enchaînent. Quand Léo a gagné, je suis resté sur le circuit car Line faisait sa reconnaissance. J’ai juste eu le temps de valider le passage technique avec elle dans le dévers avant de remonter à la Marseillaise de Léo pour savourer. J’étais fier des filles après la course Espoirs. À Fayetteville, au dernier Mondial, j’étais content du groupe même sans médaille. Les coureurs avaient tout donné, il y avait eu plusieurs Top 5. Quand ça marche moins bien, il faut se remettre en question et trouver des solutions. Je ne sais pas combien de temps je serai à ce poste, j’en profite chaque hiver. Je suis chanceux, je vis le moment à bloc. Et je me projette sur l’avenir, sur ce que je veux faire de l'équipe de France. 

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