Pôle outre-mer : « On est là pour créer du lien »
Si les comités d'outre-mer n'avaient pas fait le coûteux déplacement vers la métropole, les tournois de vitesse du Championnat de France de l'Avenir auraient paru squelettiques. Ils représentaient plus d'un quart des Juniors Hommes, un tiers des Cadets et de la vitesse par équipes et près de la moitié des Minimes-Cadettes engagées en vitesse. Les compétitions se sont déroulées sous l'oeil et l'objectif intéressés des deux entraîneurs du Pôle France Cyclisme Outre-mer : Corentin Davy et Gilles Suares, originaire de Guadeloupe, tout deux 29 ans. Rien n'a échappé à leur tablette qui filmait les compétitions. Le pôle qui a déménagé de Hyères à Bourges en 2023 (lire ici) s'est spécialisé dans le sprint avec Matthias Sylvanise, Nicolas Laugier, Louis Fuhrmann, Léa Grondin mais aussi Etienne Oliviero, le seul métropolitain du groupe. Il accueille également des spécialistes de l'endurance comme Paul Roy arrivé cette année de Nouvelle-Calédonie. Le but du pôle est de préparer l'accession des meilleurs athlètes au Pôle olympique alors que l'outre-mer manque d'équipement. La Martinique ne dispose que d'un anneau routier tout plat quand le vélodrome de Baie-Mahault en Guadeloupe n'est plus utilisé depuis plusieurs années. Le Martiniquais Emmanuel Houcou, qui sera néo-pro chez Arkéa-B&B Hôtels Conti en 2025, est d'ailleurs passé par le Pôle Outre-mer. Pour DirectVelo, les deux entraîneurs décrivent leur mission.
DirectVelo : Les comités d'Outre-mer sont très présents dans les tournois de vitesse cette année...
Gilles Suares : On sait que les athlètes d'outre-mer ont déjà beaucoup apporté aux équipes de France dans tous les sports. Les courses sur route là-bas sont explosives et leur font travailler les fibres rapides mais il y a peu de pistes, elles sont toutes en plein air, pas toujours en bon état pour exploiter ces qualités dans les vélodromes. Les comités arrivent exceptionnellement en avance de la compétition. La Guadeloupe n'est venue qu'une journée à l'avance et n'a pu faire qu'une séance d'entraînement. La Martinique est venue quelques jours à Saint-Quentin mais les trois jeunes n'avaient quasiment jamais roulé sur piste. En Martinique, c'est un anneau plat alors quand ils arrivent sur un vélodrome en bois avec les virages inclinés, ils manquent de repères.
Quelles sont les étapes de la sélection pour rentrer au Pôle outre-mer ?
G. S. : Les athlètes postulent de manière individuelle. Les candidatures sont ouvertes en début d'année et ils déposent un dossier. Ils envoient les informations scolaires, quelques données sur des tests classiques, sur 7 secondes, les pics de puissance, les seuils lactiques s'ils les connaissent. On a ainsi une lecture de leur profil scolaire et sportif. Nous convoquons les profils retenus à une présélection à Bourges avec des tests un peu plus précis.
Corentin Davy : Il y a aussi une lettre de motivation à remplir. C'est un aspect général. C'est un double, voire un triple projet. Sportif, scolaire mais aussi projet de vie tout simplement. Il y a une dimension encore plus complexe à cause de l'éloignement familial. Tout cet aspect-là est à prendre en compte.
« LA PREMIÈRE ANNÉE EST UNE ANNÉE D'ADAPTATION »
Quelle est la fourchette d'âge du recrutement ?
C. D. : En général, les plus jeunes arrivent à 15 ans. Ils arrivent en fin de Cadet 1, à la rentrée de septembre. On est aussi plus axé sur des élèves en lycée, donc 15-18 ans. Mais un athlète peut rester une année de plus. Notre autre particularité c'est qu'on s'engage sur un projet au moins à moyen terme avec les athlètes d'outre-mer. On sait très bien que la première année est une année d'adaptation. Il y a tellement de changements pour eux qu'on ne peut pas se dire que ça ne marche pas au bout d'un an. Ce sont des projets d'au moins trois-quatre ans avec les athlètes.
Comment est pris en compte le déracinement et l'aspect psychologique ?
G. S. : C'est d'autant plus pourquoi on prend le temps de bien choisir les profils. Les jeunes qui viennent au pôle ont un projet sportif précis, ils savent pourquoi ils sont là. Certains jeunes ne sont pas encore mûrs, l'éloignement familial à long terme pourrait avoir un gros impact sur leur développement. On prend le temps de mener des entretiens, de bien lire les lettres de motivation pour savoir s'ils sont prêts. Quand ils ont un coup de moins bien, nous avons une psychologue du sport et une équipe médicale au CREPS de Bourges. Nous avons aussi, parfois, l'accompagnement de la Maison régionale de la performance pour faire des réunions collectives et donner des outils. C'est un autre outil donné aux athlètes pour qu'ils puissent savoir "qu'est-ce que je dois faire quand je ne suis pas bien et qu'est-ce qui peut m'aider à être mieux". Nous avons les familles au téléphone, quelques fois en visio, ça permet de rester en contact. Il y a aussi des familles relais qui peuvent les aider et certains ont de la famille en métropole.
« DÉVELOPPER LES PETITS DÉTAILS DE FACTEURS DE PERFORMANCE »
Quel est votre rôle par rapport à l'équipe de France olympique ?
G. S. : Notre fonction c'est la formation et la préparation à la performance. Nous essayons de développer les petits détails de facteurs de performance, être autonome, savoir s'échauffer, savoir faire le suivi d'entraînement sur une plateforme et ce en supplément des entraînements qui permettent le développement athlétique général.
C. D. : Un athlète ce n'est pas que l'aspect physique ou tactique. C'est bien plus large. Pour sélectionner les coureurs, on ne se base pas que sur les chronos. Un coureur peut déjà avoir un sens tactique très développé qui va lui donner un ascendant psychologique mais sans avoir encore travaillé le physique. Le but c'est que l'athlète ait plein d'outils dans sa boîte. Pour que quand il arrivera au haut-niveau, il puisse piocher dedans et avoir des bases solides. C'est vraiment ça notre rôle.
Dans un sport comme la vitesse, où il n'y a pas de grosses structures comme sur la route, est-ce que c'est plus important d'être autonome ?
C. D. : Tout autant, je dirais.
G. S. : Étant donné que le sprint a souvent moins de moyens, un calendrier beaucoup moins fourni, il faut savoir se mobiliser tout au long de l'année malgré le faible nombre de compétitions. Quand il y a une compétition dans six mois, rester concentré et sérieux, ce n'est pas évident. Le sérieux d'un sprinter est primordial mais il doit l'être tout autant pour un endurant.
« PAS DE CULTURE SPRINT »
La FFC travaille sur la féminisation, est-ce que vous trouvez des filles motivées pour le pôle ?
C. D. : A l'heure actuelle, il n'y a qu'une fille (Léa Grondin, de la Réunion, NDLR) mais tout dépend des profils. Si d'autres filles ont le profil pour rentrer, elles viendront. Sinon, ça ne sera pas le cas. Le but c'est d'accompagner les athlètes qui méritent un accompagnement et qui sont déterminés vers celui-ci et qui remplissent les critères de sélection.
G. S. : Jusqu'à présent, le pourcentage de postulat est plus important chez les garçons que chez les filles, comme dans la population des licenciées.
Avez-vous observé à Loudéac des coureurs qui n'avaient pas postulé et qui montrent un profil intéressant ?
C. D. : Le but c'est de voir les athlètes mais aussi et surtout créer du lien avec les comités d'outre-mer. Gilles a des liens avec le comité des Îles de Guadeloupe mais la plupart, on ne les a jamais vus en vrai, même si bien sûr on a échangé par mail, par visio, mais ce n'est pas pareil. On peut créer un lien particulier. Le but c'est de travailler main dans la main, malgré la distance. Forcément on a vu des athlètes avec des profils intéressants mais comme on l'a expliqué, ça demande de la réflexion. L'avantage c'est qu'on est en novembre et ça laisse du temps d'y réfléchir pour la prochaine rentrée de septembre 2025.
G.S . : On fait des analyses vidéo en direct pour pouvoir retransmettre à tous les comités ce qu'on a vu. Ils savent quelles sont les attentes pour bien postuler au pôle. Ils ont jusqu'au mois de septembre prochain pour travailler ces points-là. On est là pour créer du lien et donner du sens à ce Pôle outre-mer qui veut aider les comités à développer la piste. Malheureusement, ce n'est pas ce qui est prôné dans les départements d'outre-mer.
C. D. : Et encore plus dans le sprint qui ne rentre pas dans la culture des départements d'outre-mer, la Nouvelle-Calédonie est un peu à part, avec leur passé. Mais chez les autres, c'est vrai qu'il n'y a pas de culture sprint.