François Trarieux : « Ça donne vraiment envie de pousser et de se battre »

Crédit photo Christian Cosserat - DirectVelo

Crédit photo Christian Cosserat - DirectVelo

L'équipe de France n'a pas raté son rendez-vous avec Besançon, à l'occasion de la dernière manche de Coupe du Monde de cyclo-cross, dimanche dernier. Chez les Juniors, Soren Bruyère Joumard a triomphé chez les garçons, comme il l'avait fait à Dublin en ouverture. Et chez les femmes, les féminines ont marqué une page de l'histoire en signant le triplé grâce à Lise Revol, Jeanne Duterne et Lison Desprez. Les Espoirs hommes ont ensuite décroché un podium par l'intermédiaire d'Aubin Sparfel, avant que Célia Gery et Amandine Muller ne brillent toutes les deux au milieu des Elites. En plus d'une flopée de places d'honneur à droite et à gauche, et c'est un François Trarieux heureux qui s'est présenté au micro de DirectVelo. Le sélectionneur de l'équipe de France est fier de ses troupes, mais se veut on ne peut plus prudent avant d'aborder un autre grand rendez-vous international, à savoir le Championnat du Monde de Liévin. Le mot d'ordre est clair, la réalité du jour n'est pas forcément celle du lendemain, et pas question de s'enflammer. 

DirectVelo : L'équipe de France a réalisé une belle manche de Coupe du Monde à Besançon !
François Trarieux : Le bilan est très, très bon. C'est même le meilleur résultat qu'on ait fait sur une compétition internationale depuis le début de saison. Je dirais que le triplé des Juniors filles est quelque chose d'exceptionnel et de marquant, je suis très content pour elles qu'elles l'aient fait, elles bossent très bien depuis le début de la saison. Elles ont eu un départ un peu difficile aux Europe où elles méritaient mieux, et là ça va les mettre dans le coup et en confiance. Je ne veux pas faire de plans sur la comète, mais Rafaelle Carrier ne devait pas être dans un grand jour. Mais on les a vues devant, à l'attaque, c'est très bien pour elles. C'est un bon groupe agréable à vivre. Mais il y a encore du boulot, il faudra reproduire ça régulièrement. Rafaelle Carrier restera la favorite du Mondial, mais on sera à même de voir l'évolution sur janvier avec les Championnats de France et du Monde.

« ENCORE UNE PREUVE DE DENSITÉ »

Auparavant, Soren Bruyère Joumard avait montré la voie en s'imposant...
Soren a concrétisé ce qu'il avait montré à Dublin. Ça avait été un peu compliqué le week-end dernier, pour lui particulièrement et pour Théophile (Vassal), ils ont foiré leur départ à Hulst. Là les deux ont pris un bon start mais ils ont été gênés par la chute d'Agostinacchio qui était parti avec des boyaux pas adaptés. On a vu que Soren était le plus fort, mais je pense que Théophile l'était tout autant. Quand on regarde ses temps au tour et sa remontée, ça doit être frustrant pour lui. Je lui avais dit de pédaler libéré. C'est compliqué pour lui car il a un statut de J2, un peu leader de l'équipe de France comparé à Soren qui est J1 et donc plus insouciant. Mais les deux tirent le reste de l'équipe vers le haut. On voit qu'il y a cinq Français dans les 11, ça prouve quand même une belle génération. C'était déjà le cas l'an dernier et c'est de nouveau le cas. Quand on regarde en Junior, filles comme garçons, il y a de la densité et c'est plaisant. Surtout quand ça marche en France.

Chez les Espoirs aussi, il y a des confirmations !
On voit que les deux Juniors Champions d'Europe confirment (Célia Gery et Aubin Sparfel, NDLR). Même Amandine (Muller), elle a fait une super course. Elle est en train d'exploser cette année et je suis content pour elle. Elle ne se fait pas encore assez confiance et elle ne connait pas ses limites. On en parle avec AS Bike et on se dit qu'elle a encore une grande marge de progression donc je suis très satisfait de ce qu'elle a pu montrer. C'est un peu complexe d'analyser les pourquoi du comment, parce qu'on est dans une semaine avec pas mal de courses, ça enchaine. Jente Michels fait une faute parce qu'il est fatigué, je pense. Je l'ai vu à Gavere pour voir les Espoirs, il était occis dans les deux derniers tours. Del Grosso sera de toute façon favori, on le savait tous et ça se confirme. Léo (Bisiaux) a encore besoin de bosser sa technique. Quant à Nathan (Bommenel), je suis un peu frustré pour lui parce que je pense qu'il avait le podium dans les pattes et il tombe avec Jente. Donc il y avait de la déception à l'arrivée. Mais on a trois Français dans les 7 premiers, ce n'est pas toujours arrivé. C'est quand même encore une preuve de densité. En Espoirs filles Célia fait 2e, Amandine 4e, il faut prendre ce qu'il y a à prendre. Quand on regarde les classements, Aubin et Léo sont Espoir 1 et 2 et devant il n'y a pas beaucoup de coureurs encore Espoirs l'an prochain. Donc on aura de belles choses à montrer.

« J'ESPÈRE QU'ON N'ATTENDRA PAS ENCORE VINGT ANS »

Avec des résultats encourageants comme ceux-là, la France a forcément une carte à jouer à Liévin, pour le prochain Championnat du Monde...
À un mois du Mondial tout le monde va dire qu'on passe un cap, mais on voit depuis le début de l'hiver que ça change de hiérarchie, surtout chez les Juniors garçons. On a fait une super manche à Besançon mais le Mondial sera dans un autre contexte. Il ne faut pas se dire que ça y est, on est les meilleurs. À Dublin on a eu des gros résultats et on s'est fait rappeler à l'ordre directement quinze jours après. Donc le maitre mot c'est de profiter, récupérer et préparer janvier. Mais ça va mettre ce groupe en confiance. Avant il y aura les manches de Coupe du Monde. À Benidorm, ce sera un circuit qu'on connait qui est très rapide, dans des conditions sèches. Donc ce sera très différent de ce qu'on va avoir au Mondial. Et Hoogerheide ce sera une semaine avant le Championnat du Monde donc ce ne sont pas des objectifs mais des points de passage pour travailler pour Liévin.

Quel est l'état d'esprit à l'approche de la date ?
On parle beaucoup du Championnat du Monde en France et c'est logique. Mais j'espère qu'on n'attendra pas encore vingt ans pour avoir un Championnat du Monde, et que ça va les pousser vers le haut pour la suite de leur carrière. L'intérêt est là aussi. Qu'on soit Champion du Monde ou pas, en un sens ça ne va pas s'arrêter là. Cette saison, c'est l'objectif, c'est important. Il y a du potentiel, on pourra avoir des cartes à jouer et c'est à nous de nous préparer au top pour le Jour-J. Puis on fera les conclusions après. Pour le coup, il faut savourer une journée comme ça où tout le monde se fait plaisir. Le triplé chez les Juniors filles, au moins elles l'auront vécu une fois et elles s'en rappelleront toute leur carrière. La dernière fois, c'était la génération Venturini/Doubey.

« LIÉVIN SERA UN MOMENT IMPORTANT MAIS LE PLUS BEAU EST PEUT-ÊTRE À VENIR »

La catégorie Juniors sourit décidément à l'équipe de France...
Il ne faut pas oublier que c'est une catégorie créée il y a peu pour les filles. L'an dernier Célia avait tout gagné, Amandine n'était pas très loin derrière. Là on a trois Juniors filles, voire quatre avec Zélie (Lambert) qui sont dans les 8 meilleures mondiales, ça veut dire qu'il y a une grosse densité qui arrive. C'est la nouvelle génération et ça fait plaisir que ça pousse de partout. Il faut les accompagner. Pour certains ce sera le premier Championnat du Monde tout court, à la maison en plus, ça fait beaucoup à gérer niveau émotionnel. Il faut apprendre à gérer le contexte. Très peu de coureurs vont courir d'ici Pontchâteau car on arrive dans ce que tout le monde souhaite : les Championnats.

Ce n'est pas la première jeune génération à briller avec l'équipe de France. Mais ce sont souvent les années qui suivent qui sont plus difficiles. As-tu l'impression, avec cette génération, qu'il y a quelque chose de différent ?
Je pense que ce sont des cycles. Il y a Antoine Benoist qui a tenu la dragée pendant quelques temps, Marion (Norbert Riberolle) aussi avant de devenir belge. Depuis que Léo (Bisiaux) a été Champion du Monde... c'est presque le leader de la génération, il les a décomplexés de tout ça et derrière il y a Aubin et Célia, cette année Soren et les Juniors filles. C'est un cercle vertueux. On parle souvent des Belges et des Néerlandaises qui se tirent entre eux et elles vers le haut, nous j'espère que ça va les porter et qu'ils sont amenés à évoluer à plus long terme. L'enjeu sera aussi avec les équipes, qu'elles puissent leur donner les moyens de continuer. On voit qu'il y a du potentiel et ça a toujours été un peu le cas en France. Derrière certains ont été freinés car il y en a dans les équipes qui n'ont pas toujours un œil pertinent sur le cyclo-cross. Là, il y a des moyens. Les équipes professionnelles jouent le jeu et j'espère que ça va durer. Car ça passera par là pour ne pas reproduire les erreurs du passé. Vanthourenhout et Sweeck en Championnat du Monde Juniors en 2012, ils terminent derrière Venturini et Doubey. On ne va pas refaire l'histoire mais des fois c'est intéressant de le répéter. On est sur un cycle positif, avec une génération qui a des résultats. Je ne veux pas m'emballer car si dans un mois on a moins de résultats on va dire que j'en ai trop dit. Mais il y a du potentiel.

Donc on peut s'attendre à de belles années à venir pour le cyclo-cross français ?
Si on est amené à devenir olympique en 2030, ça veut dire que nos coureurs auront 24-25 ans et pour l'Olympiade d'après ils seront à maturité. Donc on a peut-être les plus belles heures du cyclo-cross à écrire dans les années à venir. Liévin sera un moment important mais le plus beau est peut-être à venir. Si les coureurs se projettent et qu'on leur donne à rêver de devenir un jour Champion du Monde chez les Elites, ou Champion Olympique, ça va rééquilibrer les choses. Il y a un fossé à combler, certes. Mais quand je vois un Felipe Orts ou Niels Vandeputte qui font des podiums en Elite... Antoine Benoist était du même niveau. Quand Felipe Orts fait podium du Championnat du Monde, Clément Russo était toute l'année avec lui. Mais derrière il y a eu des choix de carrière et les équipes les ont poussés à arrêter. Mais dans nos jeunes générations, j'en suis sûr, on a des coureurs capables d'être Champions du Monde Elites en cyclo-cross, mais il faut leur donner le droit de le faire et les moyens. Les équipes se structurent aussi et prennent de l'expérience. AS Bike n'est plus la même qu'il y a six ans, Decathlon et Arkéa ont mis des moyens. C'est un tout qui fait que tu tires ton niveau d'exigence vers le haut. Plus on aura de coureurs de ce niveau, plus ça va étirer. Maintenant il faut être fort sur la régularité, on verra la suite.

« LE COMPTE À REBOURS EST LANCÉ »

Lorsqu'on voit cet engouement en France, et l'impact sur les performances des coureurs français, doit-on essayer d'organiser davantage de manches de Coupe du Monde en France ?
C'est un choix de la fédération qui me concerne moins, je n'ai pas mon mot à dire. Mais c'est un tout, encore une fois. Il faut un circuit de Coupe de France, des manches de Coupe du Monde, des équipes structurées... Il nous faut aussi des parcours pour les coureurs, j'en ai qui ont du mal à s'entrainer, même chez les Elites, sur des parcours de cyclo-cross, ils n'ont pas d'endroit. Il y a beaucoup de travail là-dessus, ça demande réflexion. Quand je vois aujourd'hui Besançon qui fait 10 000 entrées et la qualité d'organisation... Ils ont franchi plusieurs étapes, ils sont passés par la Coupe de France, le Championnat de France et ils ont monté leur niveau. Et ce n'est pas les seuls. Ça participe d'un point de vue culturel à avoir des références pour les autres organisateurs. Nommay l'a été pendant des années, Besançon maintenant est un rendez-vous incontournable, comme d'autres. Quand tu as du public, que tu es sur ton territoire, tu as la motivation en plus, c'est un fait.

Et d'un point de vue logistique, c'est souvent plus facile aussi...
On peut être un peu durs avec nos Elites mais il ne faut pas les oublier. Quand on est sur des semaines en Belgique ou Pays-Bas, les Belges et les Néerlandais rentrent chez eux tous les soirs et se font masser à la maison, quand les nôtres sont dans une maison ou un gite entre eux. Il y a pire dans la vie, mais quand tu prends le très haut niveau, il y a des coureurs qui optimisent tout. Et le déplacement fait partie de la donne. On en a qui laissent des cartouches dans les déplacements, qui ne sont plus chez eux etc. Mais là on était chez nous, au Championnat du Monde on le sera aussi. Mais pas très loin de la frontière donc il y aura forcément des supporters belges et néerlandais (sourire). Pour le coup on a vu aujourd'hui que ça poussait les coureurs. Il y a deux ans, une semaine avant le Mondial, on savait que les coureurs ne seraient pas performants parce qu'on avait fait une semaine de stage et ce n'était pas l'objectif. Là ils ont enchainé des gros déplacements mais on leur avait demandé de garder de la fraicheur. Et on voit bien que quand les charges sont bien faites et que ça s'enchaine comme il faut, ça peut marcher. On fera le bilan à la fin de la saison et on en tirera les conclusions.

Liévin sera donc un baromètre important...
Des fois, tu fais tout comme il faut et le résultat n'est pas là, et aujourd'hui tout va sur des roulettes, ça a presque l'air trop facile alors que c'est tellement difficile. Tu as envie de savourer mais si les coureurs se reposent sur leurs lauriers, tu sais très bien que tu vas prendre une saucée la semaine après. J'espère que ça va les lancer, le compte à rebours est lancé. Ils savent ce qu'ils ont à faire, s'ils travaillent comme il faut ils seront là. Il suffit d'une petite chute pour que la course soit terminée donc on verra le Jour-J. Il faut rester très humble et avoir du recul après une journée comme ça. Je félicite les coureurs et tout le monde autour d'eux pour l'implication. Ça donne vraiment envie de pousser encore plus et de se battre pour que ça aille vers le haut. Quand je vois les filles super contentes entre elles, les garçons pareil. Les Espoirs aussi. Ça met une bonne dynamique dans l'équipe. Quand tu as peu de résultats tu commences à douter, là tu sais que tu es en position de gagner. Et le jour du Championnat du Monde, c'est là qu'il faudra être présent et après ce sera le moment de faire le bilan.

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