Michel Thèze : « Les Jeux Olympiques, c'est la rareté »

Crédit photo CDC/Dr. Edwin P. Ewing, Jr. — phil.cdc.gov / Wikicomon

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Quel est l'enjeu des Jeux ? Michel Thèze y a dirigé l'Equipe de France par deux fois, à Séoul en 1988 et à Barcelone quatre ans plus tard, dans le contre-la-montre par équipes, le fameux « 100 kilomètres ». Epoque charnière, avant la disparition de sa spécialité et l'introduction du VTT. Avant, surtout, l'ouverture des Jeux aux coureurs professionnels – les amateurs étaient les seuls admis depuis près d'un siècle. Celui qui a entre-temps entraîné les athlètes du Centre Mondial du Cyclisme (en tête, Chris Froome et Daniel Teklehaimanot) puis l'Equipe nationel d'Algérie, livre ses souvenirs olympiques à DirectVelo.

DirectVelo : Qu'est-ce qui fait le prix des Jeux Olympiques ?
Michel Thèze : La médaille. Tout tourne autour de cette obsession. Sitôt une édition des Jeux terminée, on pense à la suivante. C'est un rendez-vous à ne pas manquer, qui peut être unique dans la vie d'un athlète, surtout vers 26 ans. A ce moment-là, on se dit qu'on est en pleine possession de ses moyens et que dans quatre ans, on ne sait pas où on en sera. Du fait que l'événement ne soit pas annuel, il donne une impression de rareté. Décrocher une médaille, ça marque à vie. On se souvient rarement du 2e ou du 3e sur un Championnat du Monde. Sur une épreuve des Jeux, le palmarès reste... C'était le cas pour les coureurs que j'ai entraînés [l'Equipe de France termine 4e du 100 kilomètres à Séoul mais s'empare du bronze à Barcelone, avec Hervé Boussard, Didier Faivre-Pierret,
Philippe Gaumont et Jean-Louis Harel, NDLR].

Quel est le moteur des Jeux pour un athlète ? La gloire ? L'argent ?
L'enjeu est vraiment très sportif. L'idée de gagner la médaille, c'est comme une quête. La gloire, non, on n'y pense pas. Quant à l'argent, c'est une conséquence, pas un objectif. Les athlètes médaillés reçoivent une prime conséquente du gouvernement, la fédération concernée également. Mais je me souviens que nous pouvions faire des concessions. En 1988, deux coureurs de l'équipe, Laurent Bezault et Pascal Lance, avaient décliné un contrat pro pour pouvoir participer aux Jeux – ils ont été recrutés ensuite. Pour ma part, j'ai refusé une proposition de Paul Koechli de le rejoindre en 1990 [chez Weimann], parce que j'étais moralement engagé dans la préparation de Barcelone, deux ans après. Je ne pouvais pas quitter le navire. Car il y a cette dimension collective et de longue haleine dans les Jeux olympiques. L'engagement, c'est sacré.

Vous parliez de la fédération. Est-ce qu'elle vous met une pression particulière pendant les Jeux ?
Oui, évidemment. Un an avant, on ne parle déjà que de ça. Mais la pression est un ensemble. On allume la télé et on parle déjà du record de médailles que la France doit battre par rapport à la précédente édition. On voit ensuite des représentants du Ministère des Sports qu'on ne rencontre pas d'habitude. On sent que tout le monde est derrière nous. Ce n'est pas négatif quand on sait ce qu'on a fait et qu'on a l'habitude de bien se concentrer et s'isoler.

Il est tentant de se disperser avec les athlètes venus d'autres disciplines sportives tout autour de soi, non ?
Les échanges sont souvent enrichissants. Je préférais quand même quand nous étions dans le cadre d'un Championnat du Monde, plus « entre-nous », plus en capacité de rester dans notre bulle. Mais en sortir tous les quatre ans, pourquoi pas... Je me rappelle avoir croisé Marie-Jo Perec au restaurant olympique. Les athlètes discutent beaucoup entre eux, principalement le soir. C'est moins vrai pour les entraîneurs, qui sont absorbés par des réunions. Et puis, nous, cyclistes, nous étions un peu en décalage. Comme nos épreuves se déroulent tôt dans le programme, nous étions absents de la cérémonie d'ouverture. Et nous quittions les lieux plus tôt également. Il n'empêche que nous avions une bonne image et un bon contact avec les autres disciplines.

Sur les Jeux, le niveau est-il plus relevé que sur les autres épreuves du calendrier ?
En apparence non, car les meilleurs sont toujours devant. Dans le « 100 kilomètres », on retrouvait toujours les mêmes aux premières places. Mais le niveau d'ensemble était supérieur et nous avions tous progressé en même temps. Car on ne voulait rien laisser passer, on ne voulait pas se louper sur le moindre détail. On peut se trouver ces excuses pour un Championnat du Monde : pas pour les JO. Inévitablement, les JO correspondent à une certaine idée de la perfection.

Les épreuves cyclistes des JO accueillent depuis 1996 les cyclistes professionnels. Est-ce un progrès ?
Il y a le pour et le contre. Pour la notoriété des épreuves, c'est un plus de voir les meilleurs du peloton s'affronter. Mais cette « nouvelle » réglementation creuse les écarts sportifs. Ainsi, les coureurs africains ont beaucoup progressé ces dernières années mais ils ne peuvent pas espérer rivaliser avec les Européens si ceux-ci sont les protagonistes du Tour de France... La plupart des coureurs africains sont amateurs, pas ceux des autres continents. Le peloton ne roule pas sur un pied d'égalité.

On se doute un peu de la réponse, mais la suppression du « 100 kilomètres » au programme des Jeux, c'est dommage selon vous ?
Oui, parce que c'était une discipline de cohésion, qui permettait de révéler tout le travail d'une équipe, encadrement compris. L'exercice était très formateur et a permis à des générations de rouleurs de s'affirmer. Mais je pense que les organisateurs des JO n'étaient plus intéressés par la discipline. Trop compliqué à mettre en place pour eux, pas assez télévisuel... On nous donnait des circuits ennuyeux sur autoroute, avec un aller-retour sur une ligne droite. Il y avait des possibilités pour proposer un parcours intéressant, comme à Séoul, lorsque nous étions dans la campagne environnante. Mais non, on avait estimé que le « 100 kilomètres » devait être ennuyeux. Et puis, il fallait faire le ménage dans les disciplines cyclistes pour faire rentrer le contre-la-montre individuel et surtout le VTT, qui fait ses débuts aux Jeux d'Atlanta en 1996. Et ensuite le BMX [à Pékin en 2008, NDLR]. L'esprit des Jeux demeure, le programme évolue...

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