Chez les amateurs... pour le plaisir

Crédit photo Julie Desanlis

Crédit photo Julie Desanlis

Ils étaient six parmi les dix premiers du Tour de Basse-Navarre, sur l'Essor Basque. Six ex-pros et les quatre autres étaient des coureurs de la Continentale de l'Armée de Terre.

Les ex-pros dominent le début de saison amateur. Licenciés, remerciés ou victimes de promesses non-tenues, ils ont quitté contre leur volonté le peloton professionnel. Quoique certains n'ont pas cherché à s'accrocher aux branches. "J'avais envie de changer d'air", déclarait Yoann Paillot à son retour chez les Amateurs en 2016. "Il n'y avait rien à digérer car j'avais parlé avec Nicolas Roux assez tôt dans la saison", rappelle Théo Vimpère passé d'HP BTP-Auber à Pro Immo, à l'intersaison.

L'esprit de revanche n'est pas leur premier carburant. "Je n'ai pas de regret. Je n'ai rien à prouver à personne", affirme Pierre-Henri Lecuisinier. "J'ai rapidement tourné la page", ajoute Yoann Paillot. "Être revanchard, ça ne sert à rien", pour César Bihel. Le nouveau coureur du Team Pays de Dinan (lire ici) veut "retrouver du plaisir chez les Amateurs. Chez les pros, si ça ne se passe pas comme on le désire, les résultats absents, le plaisir s'amenuise", analyse-t-il.

« IL FAUT DES QUALITES ENORMES POUR S'AMUSER CHEZ LES PROS »

Le Plaisir perdu. Ce mot tourne en boucle dans la bouche des ex-pros qui aiment toujours le vélo. Les scénarios stéréotypés des courses pros sont bien connus. Km0-échappée-ravito-tempo-retour-arrivée au sprint. Les coureurs avouent leur ennui. Quand le vélo devient un métier, ce plaisir s'étiole et pas que pour les coureurs. Si les acteurs trouvent le temps long sur scène, comment veut-on que le public ne baille pas en jetant un œil sur sa montre ?

Théo Vimpère est passé pro avec ses convictions. "Je me disais qu'il y avait moyen de contrarier les plans établis mais il faut vraiment avoir des qualités énormes pour cela... Lilian Calmejane, il y arrive. C'est un coursier, il est toujours devant, il fait la course et il a des résultats." Il faut donc avoir un très gros moteur pour s'amuser chez les pros et ces coureurs n'ont, en général, pas de mal à conserver un contrat. "Ce type de scénario arrange aussi beaucoup de monde. Les sprinters ont tout le poids des responsabilités et les autres se rangent derrière leur sprinter. C'est plus facile de dire j'ai bossé, je me suis écarté que dire j'ai tenté et j'ai pété...", remarque le Limousin. Le coureur retrouve un format de course qui lui plait chez les Amateurs. "C'est vachement moins stéréotypé, ça fait toujours la course, c'est ouvert. Chez les pros je retrouvais ce plaisir sur le Tour du Doubs ou sur la première étape du Tour du Limousin."

REPASSER OU PAS

Jusqu'en 1981, les ex-pros n'avaient plus le droit de passer le Rubicon une seconde fois. Premier à bénéficier de l'ouverture du pont dans les deux sens, Serge Beucherie endosse le maillot de Champion de France professionnel, l'année de son retour chez les pros. Ces dernières années Julien Loubet, Stéphane Poulhiès ou Jérémy Bescond sont remontés dans l'ascenseur.

Aujourd'hui, parmi ceux qui sont ejectés des équipes UCI, certains veulent prouver qu'ils y ont toujours leur place. "Être pro, c'est une expérience de vie magnifique", reconnaît César Bihel, qui a déjà décidé d'arrêter sa carrière à la fin de la saison. A son retour au Top 16 en 2016, Yoann Paillot déclarait à DirectVelo, "je rêve de rester dans le milieu professionnel, ça me plaît de courir aux côtés des grands, ça me motive. J'estime que je peux encore progresser." Le Champion de France du contre-la-montre, 2e du Challenge BBB-DirectVelo, un des tout meilleurs coureurs du peloton amateurs 2016 n'a pourtant pas réussi à concrétiser ses belles performances par un contrat cet hiver. Théo Vimpère est plus mesuré : "il y a pro et pro, je ne souhaite pas être pro à tout prix. Etre pro, c'est beaucoup de contraintes." Pierre-Henri Lecuisinier ne se ferme aucune porte : "Si j'ai une opportunité de retourner chez les pros, j'en discuterai avec Nicolas Roux. Je suis ouvert à toutes propositions et donc à un nouveau passage chez les professionnels si j'ai le niveau. Mais je pourrais très bien faire dix ans chez les amateurs dans les conditions dans lesquelles j'évolue cette année", ressent le Champion du Monde Juniors 2011. Preuve aussi que la situation matérielle d'un coureur performant chez les amateurs n'a rien à envier à celle d'un coureur de Continental qui végète.

DES ETALONS DU PELOTON

Dans les années 70-80, les ex-pros étaient mal vus. De nombreuses courses leur fermaient leur porte et ils faisaient la loi -et leur loi- sur les autres. Jusqu'en 1988, le Championnat de France Amateurs leur était interdit. Aujourd'hui le peloton amateur les voit d'un autre oeil. "Je pense que c'est positif si les coureurs redescendent dans un bon état d'esprit", juge Maxime Larue, directeur sportif du Team Probikeshop Saint-Etienne Loire. Il n'a pas d'ex-pro dans son effectif mais "c'est bien d'en avoir dans une équipe car ils peuvent encadrer et partager avec les jeunes", ajoute-t-il. César Bihel voit les choses de la même manière : "si les résultats ne sont pas là chez les pros, c'est mieux de faire profiter les jeunes d'un club amateur de notre expérience." L'expérience, c'est aussi "leur éviter de répéter les conneries que nous avons pu faire", ajoute Pierre-Henri Lecuisinier motivé pour aider ses coéquipiers dont Karl-Patrick Lauk qu'il verrait bien accéder au WorldTour.

Si en ce début de saison, les anciens pros dominent les débats, sortir des rangs professionnels n'est pas une garantie d'écraser chez les amateurs. Au fil des courses rengaines, les coureurs reviennent avec un moteur diesel sous le capot du vélo. "Il aurait fallu être explosif pour le sprint en côte mais mes trois années chez les pros ne m'ont pas beaucoup aidé pour cela..." déclarait Pierre-Henri Lecuisinier à l'arrivée de la Ronde du Pays Basque. Son coéquipier du Team Pro Immo Nicolas Roux, Théo Vimpère observe même que "des coureurs régressent chez les pros car tu passes ton temps à suivre. Tu peux retrouver le schéma amateur que si tu as des qualités supérieures aux autres. Sinon c'est compliqué." Toutefois, les courses professionnelles donnent aussi de la caisse aux coureurs dont ils peuvent profiter. Elles peuvent aussi améliorer leur sens de la course. "J'ai beaucoup appris. Tactiquement et dans l'approche du sprint, je courais souvent en étant mal placé", explique Yoann Paillot.

Alors ces anciens, dont certains sont encore très jeunes - Bruno Armirail n'a pas encore 23 ans - font-ils du bien au cyclisme amateur ? "On voit cette année sur l'Essor basque ou sur les Plages que les anciens pros font monter le niveau", analyse Maxime Larue. Pour le technicien, ils servent même de mètre étalon. "Un bon jeune doit être capable de les battre, on le voit chaque année. Sinon, c'est qu'il lui manque encore quelque chose."

Mots-clés

En savoir plus

Portrait de César BIHEL
Portrait de Pierre Henri LECUISINIER
Portrait de Yoann PAILLOT
Portrait de Théo VIMPÈRE