Tour de France : Sur les traces de Fabio Aru
A l'occasion du Tour de France 2017, DirectVelo repart « Sur les traces de... ». L'objectif ? Mieux connaître un coureur présent sur le Tour de France, grâce à un équipier, adversaire ou dirigeant qui l'a connu chez les Amateurs. Rendez-vous aujourd'hui avec Fabio Aru (27 ans), ex-porteur du maillot jaune et actuel deuxième du classement général. Le témoin ? Antonio Doneddu, compagnon de chambre et fidèle lieutenant du leader de la formation Astana durant quatre saisons, de 2009 à 2012, lorsqu'ils couraient pour le Team Palazzago. Toujours très proche du Champion d'Italie en titre, il raconte ses souvenirs de leurs années Espoirs.
« J'ai rencontré Fabio pour la première fois en 2009. En fait, on s'était déjà croisé sur les routes d'entraînement avant car nous sommes tous les deux originaires de Sardaigne. Mais c'est vraiment en 2009 que tout a commencé. On s'est retrouvé dans la même équipe, sous les ordres d'Olivano Locatelli. J'étais déjà Espoir 3 et Fabio rentrait tout juste dans la catégorie Espoirs. Il était assez "neuf" dans le cyclisme sur route. Avant, il faisait du VTT et il avait été Champion d'Italie Juniors de cyclo-cross. Je me souviens qu'au tout début, c'était quelqu'un de très timide et d'assez renfermé. En 2009, il n'avait pas encore terminé ses études alors il faisait souvent la navette, et il avait beaucoup plus couru durant l'été. Il n'était pas toujours avec le groupe à Bergame.
« NOTRE PRÉSIDENT DE CLUB A DIT : "ON TIENT LE NOUVEL IVAN GOTTI" »
Lorsqu'il a débarqué chez les Espoirs, c'était une allumette ! Un vrai poids plume. Il n'avait pas beaucoup de puissance et il était dans le dur sur le plat. C'était très difficile pour lui de tenir le coup quand il n'y avait pas de difficultés et que ça attaquait de partout. Il arrivait de Sardaigne et le niveau n'était plus du tout le même ici. Il a dû s'adapter mais il a été patient. Il avait conscience du chemin qu'il lui restait à parcourir. Mais en montagne, c'était déjà un sacré coureur. Dès que ça montait, il faisait mal à tout le monde. Je me souviens de sa première montée du Montegrappa en course, une ascension de 23 kilomètres très difficile... Il a terminé 3e là-haut. Et notre Président de club a dit : "on tient le nouvel Ivan Gotti" (lauréat de deux Tour d'Italie en 1997 et 1999, NDLR). C'est vrai que c'était le même type de coureur, très menu, pas très beau sur le vélo, mais incroyablement fort.
Fabio ne s'est pas immédiatement imposé comme un leader. Contrairement aux idées reçues, il n'y a pas toujours un leader et des mecs pour travailler autour chez les Espoirs en Italie. En tout cas, pas avec Olivano Locatelli. Il n'a jamais mis Fabio sur un piédestal. Fabio devait sans arrêt se remettre en question, même si en réalité il le protégeait. On voyait à travers les yeux de Locatelli que Fabio avait quelque chose en plus, dès la première année, mais il ne le disait pas. Entre temps, Fabio travaillait aussi pour le collectif. Il a plusieurs fois roulé pour moi. Et il continuait de le faire même en 2011, lorsqu'il a commencé à enchaîner les victoires sur des grosses courses comme le Tour du Val d'Aoste. Il est toujours resté le même. A un moment donné, on a tous compris que Fabio allait passer professionnel et qu'il allait faire carrière. Il était bien plus fort que nous tous, et c'était le plus fort de notre génération en Italie. Je ne crois pas qu'il y ait eu de jalousie de la part des autres coureurs de l'équipe. Au Team Palazzago, nous étions tous très proches. On était simplement heureux pour lui.
« JE NE L'AI JAMAIS VU EN COLÈRE »
Ce qui m'a toujours impressionné chez Fabio, c'est qu'il savait ce qu'il voulait et il ne changeait pas souvent d'avis. Il était incroyablement têtu. Enfin, comme tous les Sardes ! Il se moquait de ce que pouvaient dire les autres. Il n'écoutait pas forcément les conseils, il savait ce qui était le mieux pour lui. De temps en temps, c'était assez cocasse car il n'écoutait même pas Locatelli. C'était chaud entre les deux, ils n'étaient pas loin de se battre parfois (rires). Mais Fabio avait la tête dure... Et en dehors des courses, Fabio était très méticuleux, déjà à l'époque. Il faisait très attention à tout ce qu'il mangeait. Il était particulièrement sérieux. Il faisait même attention à l'air conditionné et à la température qu'il faisait partout où il allait. Il ne voulait surtout pas attraper froid. Mais d'un autre côté, il a toujours eu le sourire et il ne se prend pas la tête. On rigole bien. Pas plus tard que lundi dernier par exemple, pendant la dernière journée de repos du Tour, on s'est envoyé quelques messages et il me demandait si je profitais bien de mes vacances pendant qu'il devait manger des pâtes blanches. Il y avait débat pour savoir s'il y ajoutait du parmesan ou non (sourires).
Beaucoup de gens se souviennent de ses envolées dans les ascensions, sur les Tour du Val d'Aoste ou les Tour d'Italie Espoirs. Mais en réalité, Fabio a très souvent été battu. Il a collectionné les deuxième ou troisième places car il n'allait pas vite au sprint. Il était souvent devancé par des garçons comme Enrico Battaglin ou Matteo Trentin. D'ailleurs, il avait perdu un Championnat d'Italie face à Trentin. Mais ce n'est pas un mauvais perdant. Je ne l'ai jamais vu en colère après avoir perdu. Il était toujours très respectueux. Pourtant, parfois il y avait de quoi être énervé : je me souviens qu'un jour, sur une manche de Coupe des Nations en Toscane, il était leader de la course le dernier jour et il allait gagner le général, mais il a cassé sa chaîne à 200m de l'arrivée. Il a fini à pied, en courant à côté de son vélo. Il avait perdu le général pour quelques secondes face à Georg Preidler mais même-là, il n'était pas énervé. Simplement déçu.
« MENTALEMENT, IL A TOUJOURS ÉTÉ TRÈS FORT »
Fabio n'a jamais été abattu après une défaite. Il regarde de l'avant et il se concentre sur de nouveaux objectifs. Mentalement, il a toujours été très fort et je pense que c'est pour ça qu'il en est à ce niveau-là aujourd'hui. C'est un attaquant et un gagneur. Il se donne toujours à 110%. C'est aussi sûrement la raison pour laquelle je ne l'ai jamais vu à la rue sur une course. Même quand il n'était pas en super condition, il se battait et du coup, il n'était pas ridicule. Et je sais qu'il va continuer de se battre jusqu'à la fin de ce Tour de France et qu'il peut le gagner. Mais dans tous les cas, je suis déjà extrêmement fier de lui. Et s'il l'emporte, alors j'irai sur les Champs-Elysées le dernier jour pour fêter la victoire avec lui, à Paris. »