La Grande Interview : Noël Nilly
Dans le numéro anniversaire de Vélomagazine, tous les coureurs professionnels interrogés ont eu un mot pour lui. Ils lui doivent leur premier article dans le mensuel. Noël Nilly, journaliste passionné de vélo depuis toujours, a connu les vedettes françaises quand ils étaient Cadets, Juniors, Espoirs. Les classements Vélo, c'est lui aussi, au prix de plus d'une nuit blanche pour offrir un classement à jour aux coureurs.
Après 35 ans à suivre les pelotons, sa parole est écoutée et consultée. Il faisait encore partie du groupe de travail chargé de proposer une réforme de la Division Nationale. Noël Nilly ne s'est pas contenté d'écrire. Il est aussi devenu dirigeant de club et organisateur de course, pour les Juniors bien sûr, les Boucles de l'Oise « Trophée Arnaud Coyot ».
L'ancien tourneur originaire de Dreux s'estime chanceux. "J'ai été privilégié. J'ai toujours rencontré les bonnes personnes. J'ai eu de la chance avec tous mes patrons comme Noël Couëdel et Jean-Marie Leblanc. J'avais la passion pour le vélo. J'ai exercé ma passion. Journaliste, c'est une des plus belles professions qui soit mais elle demande beaucoup". Et dire que tout a commencé par une une petite annonce de cinq lignes.
Comment passe-t-on de tourneur dans une entreprise spécialisée en matériel pharmaceutique à journaliste à L'Equipe ?
Un matin, le 1er novembre 1975, j'emmène ma femme à son travail à l'hôpital Foch à Suresnes. J'achète L'Equipe que je lis depuis que j'ai huit ans. La Une était en papier rose, comme tous les samedis (La Une parle de l'échec de Roy Schuiten contre le record de l'heure, NDLR). Je trouve une annonce de cinq lignes où ils recherchaient quelqu'un qui savait écrire et s'y connaissait en photo. Le lundi, ma femme me dit d'aller au Faubourg Montmartre (le siège de L'Equipe, NDLR). Je suis reçu par l'adjoint de Pierre Verdier qui s'occupait de ce qu'on appelle aujourd'hui les ressources humaines. Il me demande de reconnaître des champions de l'époque sur les photos. Je suis embauché pour le lendemain. J'ai débuté au service photo de L'Equipe.
« J’AI TOUJOURS RENCONTRÉ LES BONNES PERSONNES »
Comment es-tu passé du service photo à la rubrique cyclisme ?
J'ai toujours rencontré les bonnes personnes. Il y a d’abord eu Noël Couëdel qui était responsable de la rubrique cyclisme. En 1978, Jean-Marie Leblanc le remplace et je me suis tout de suite bien entendu avec lui. En 1985, j'ai débuté à Vélomagazine au poste de secrétaire de rédaction. A cette date, Jean-Marie Leblanc a décidé que j'allais remplacer Robert Pajot qui suivait les Amateurs dans L'Equipe. En 1988, j'ai tout de même suivi toute la saison pro et j'ai couvert le Tour de France.
Tu as aussi écrit pour Le Parisien Libéré et l'Ile-de-France cycliste…
Avant de travailler à Velomagazine, j'ai bossé pour l'édition de l'Oise du Parisien entre 1981 et 1985, grâce à Jean-Marie qui fut mon meilleur patron. Quand Philippe Bouvet, qui écrivait dans l'Ile-de-France cycliste, a rejoint L'Equipe, il m'a proposé de lui succéder. J'ai dû faire douze-treize saisons. C'était l'époque où le cyclisme parisien était fort dominant.
Comment expliques-tu la chute de ce cyclisme parisien ?
J'ai vu les choses s'inverser entre la province et l'Ile-de-France. La source de coureurs s'est tarie. Les clubs ont commencé à recruter en province. Pourtant, à l'origine, ils bénéficiaient d'un grand réservoir autour de la Capitale. Paul Wiegant, le directeur sportif de l'ACBB (lire ici) a été le moteur de l'essor du cyclisme parisien. Il a tout de suite recruté en province de grands coureurs. Les autres clubs ont été obligés de suivre et l'émulation entre eux les a fait progresser. Dans les années 80, je disais à Claude Escalon (remplaçant de Wiegant à l'ACBB) et Joël Gallopin (DS de l'AS Corbeil-Essonnes) : « si la province n'existait pas, les clubs parisiens seraient moins forts ». Quand la province s'est organisée avec des sponsors et les municipalités, l'étoile des clubs d'Ile-de-France a pâli. Il y a eu un rééquilibrage.
« LE MONDE MODERNE A FAIT FUIR LES CYCLISTES »
Y a-t-il d'autres raisons ?
La vie a changé autour de Paris. Il est devenu difficile d'organiser des courses, de s'entraîner. Le monde moderne a fait fuir les cyclistes de la Capitale. Dans les années 60-70, tous les gamins faisaient du vélo. Le must dans les quartiers populaires, c'était de recevoir une bicyclette pour son certificat d'études. Au fil du temps, les autres fédérations se sont organisées pour être plus attrayantes. Beaucoup de jeunes se sont alors éloignés du vélo.
La FFC était donc moins attrayante que les autres fédérations ?
C'est surtout que dans les quartiers de banlieue, les endroits où on pouvait faire du vélo ont disparu. La dangerosité du vélo a détourné des familles du vélo. Quand j'étais jeune à Dreux, (Noël Nilly a 67 ans), on se passait le vélo et chacun attendait que les autres laissent leur machine pour pouvoir monter dessus. Les dirigeants de la FFC ont péché dans ce domaine : comment encourager la pratique du cyclisme. On ne s'est pas penché sur la pratique du vélo dans les agglomérations. Notre grande chance, c'est le Tour de France, si le grand public s'intéresse encore au vélo c'est grâce au Tour.
« LA DN A SAUVÉ LE CYCLISME PRO »
Après le déclin du cyclisme parisien, tu as vu la naissance de la Division Nationale. Pourquoi a-t-elle été créée ?
Elle a permis une vraie réorganisation mais elle a d'abord été faite pour sauver le cyclisme professionnel. Dans les années 80-90, le peloton pro français était squelettique. Il y avait autant de courses mais de moins en moins de coureurs. On s'est rendu compte que sans restructurer le cyclisme amateur, on n'aurait pas de résultats chez les pros. La restructuration du haut-niveau par la DN a sauvé le cyclisme pro en France par son travail de formation des coureurs et sa pyramide de niveau. C'est un beau travail de la FFC. J'ai toujours dit à ASO que le Tour est important mais ce qui est le plus important c'est le travail des DN. Aujourd'hui, un bon ne peut plus passer à travers les mailles de la détection. Les Démare, Bouhanni, Bardet, Pinot performants tout de suite chez les pros, c'est grâce aux DN. Les groupes sportifs étrangers viennent puiser dans notre cyclisme, c'est la récompense du travail des DN et des CTS pour les Juniors.
Comment améliorer les DN et le cyclisme amateur ?
Nous avons un cyclisme organisé mais il y a toujours à faire. Il faut se tourner vers les jeunes pour apporter du sang frais. C'est là où les écoles de vélo n'ont pas eu l'effet escompté. Elles n'apportent rien au cyclisme sur route. On a longtemps dit que le vélo était un sport à maturité tardive. On a été trop protectionniste et trop délaissé les jeunes catégories. A 15-16 ans, les jeunes ont déjà choisi leur sport.
Au CC Nogent, il y a 30-40 gamins à l'école et quasiment aucun ne va jusqu'aux Juniors. C'est une perte car on ne sait pas leur proposer une activité ludique. Il faut que ça reste un jeu, que ça reste un plaisir et pas une confrontation à cette âge-là. Ce serait le prochain chantier à engager.
Il y a aussi des coureurs prometteurs qui abandonnent le vélo en cours de route…
Un gamin a le droit d'être doué à 14 ans et de vouloir faire autre chose à 20. Dans les années 70, un jeune avait toutes les chances de se retrouver dans un atelier ou une usine alors ça le faisait rêver de passer pro. Aujourd'hui, il existe des métiers plus attrayants qu'une carrière sportive. Et il faut dire que ça reste un sport très dur, il faut avoir envie de le faire. Alors quand un coureur s'aperçoit qu'il ne progresse plus après 20 ans, il arrête.
LES NUITS BLANCHES DES CLASSEMENTS VELO
Pour promouvoir les jeunes, tu as été à l'origine des classements Vélo…
A Vélo, on a voulu se servir des résultats pour établir une hiérarchie. Les coureurs connaissaient leur place dans leur région mais pas au niveau national. On s'est dit que le meilleur moyen de parler des jeunes c'est de faire un classement. L'Affaire Festina en 1998 a aussi été un tournant. Avec Claude Droussent, le rédacteur en chef, on s'est tourné vers les jeunes. Cela nous a permis de continuer de parler de vélo en parlant moins des Elites. Les clubs aussi ont compris qu'il valait mieux promouvoir les Espoirs.
Quel travail représentait l'établissement des Classements Vélo ?
C'était un travail quotidien car il y a tellement de courses. Je relançais les comités pour obtenir les résultats des courses Cadets. J'ai passé des nuits blanches tous les mois, d'où le fait que j'y tenais beaucoup. Deux-trois fois dans l'année, je passais toute la nuit avant le bouclage pour sortir un classement à jour. Je buvais le café avec les hommes de ménage, car c'était souvent des hommes.
Au début je faisais tout à la main. J'avais des cahiers pour chaque catégorie. Ensuite, on m'a créé un programme mais il fallait tout saisir.
Dans les pages jeunes, tu consacrais aussi plusieurs articles aux coureurs pas forcément encore connus. Comment choisissais-tu ces jeunes ?
On commençait par le premier du classement et, au fil du temps, on descendait. Je mettais un point d'honneur à ce que les 40-50 premiers Cadets aient eu un papier dans Vélo. Un gamin pouvait être 25e Juniors, il m'intéressait. Un coureur régulier, qui marque tout le temps des points, tu t'en rends compte. Appeler un Cadet qui a fait un beau début de saison, ça me plaisait autant que d'appeler Bardet, Pinot ou Alaphilippe. Ça m'a manqué de ne plus les appeler quand j'ai arrêté. J'observais aussi les coureurs en course.
« CE SONT DES TYPES HYPER COURAGEUX »
Tu aimais être au coeur de la course ?
Je me souviens d'une étape du Ruban Granitier Breton, courue sous un temps de chien. Le photographe de Miroir du Cyclisme veut monter dans la voiture. On échange nos places et me voilà sur la moto, avec son casque et sa combinaison. On se rapproche de l'échappée où il y avait Richard Vivien. Je les entendais s'encourager, gémir. J'étais marqué par la difficulté. J'ai toujours eu beaucoup d'admiration pour ces coureurs. Je trouve que ce sont des types hyper courageux.
Qu'est-ce que tu remarquais chez certains coureurs ?
J'aimais estimer leur parcours, j'aimais discuter avec eux pour les découvrir. J'ai toujours trouvé qu'un champion devait avoir un comportement exemplaire, dans le vélo et en dehors.
Je prends l'exemple d'Arnaud Démare en 2011. Il gagne la Côte Picarde et je demande à aller au ZLM Tour pour suivre la course le samedi. Il termine 3e. Il me demande s'il peut rentrer avec moi (Noël Nilly habite dans l'Oise) et au dernier moment il se ravise. Il me dit en parlant de ses coéquipiers : « Ils ont roulé pour moi toute la journée, je reste pour manger avec eux ». J'ai assisté à la naissance d'un leader.
« GEOFFREY BOUCHARD M’A SAUTÉ AU COU »
Tu as aussi beaucoup cru en Geoffrey Bouchard, le Champion de France 2018…
Geoffrey, c'est un des gamins avec qui j'ai le plus parlé au téléphone quand il avait 19-20 ans. Il ne croyait pas en lui alors que je voyais qu'il avait des qualités. Je lui répétais « Ne pense pas aux autres, je ne te dis pas ça pour te faire plaisir mais parce que je sais que tu as le potentiel ».
Avant son titre, je le revois au Rhône-Alpes Isère Tour. Il doutait encore de lui. Je lui ai dit : « Tu dois oublier contre qui tu cours. Tu dois te dire que tu peux attaquer, fais ta course ! » Le lendemain, il fait une course du feu de Dieu.
Au Championnat de France à Mantes, quand il m'a vu en salle de presse, il m'a sauté au cou, il m'a embrassé. « Combien de fois vous m'avez encouragé ! J'ai repensé à ce que tu m'avais dit au RAIT ».
As-tu l'âme d'un confident ?
J'ai toujours eu besoin de discuter avec les gens. J'ai toujours aimé apporter du réconfort, un conseil, un encouragement. Ce que j'aime bien, c'est que les gamins arrivent à faire ce qu'ils pouvaient faire.
Tu avais l'oeil pour détecter des talents ?
J'aurais bien aimer être recruteur de jeunes coureurs pour un groupe sportif. Un temps, j'avais échafaudé une structure, en lien avec la FFC, pour proposer des jeunes Français aux équipes car les pros sont loin du monde amateur. Découvrir de futurs champions, ça m'a toujours enthousiasmé.
« LA PERSPECTIVE DES DN, C’EST DE MONTER EN CONTI »
Est-ce que la constitution d'équipes réserves va rapprocher les pros et les amateurs ?
Le lien est établi mais il est tellement mince que ça peut être périlleux pour les DN. Les encadrants des DN se désespèrent du manque de relation avec les pros. Dans cette structure du haut-niveau, il n'y a pas lien entre les deux. Tout se fait par relation mais c'est un peu du vent, des paroles. Il n'y a pas de convention. Comment faire pour que cette filière du haut-niveau fonctionne ?
Comment peut-on améliorer les liens entre ces deux mondes ?
On se pose toujours la question de savoir ce que pense le monde pro. Pourquoi ne pas inviter les directeurs sportifs des DN au moment des stages de début de saison des équipes pros pour savoir ce qu'elles attendent ? Je sais que le Vendée U le fait mais ça reste exceptionnel. Quand je vois chaque année que les coureurs proposent leurs services aux groupes sportifs, ça ne devrait pas se passer comme ça.
Quel avenir vois-tu pour les DN ?
La DN1 se recroqueville sur elle-même sans savoir ce que demain sera fait. La perspective des DN c'est de monter en Conti mais en France, il y a des impératifs économiques qui limitent cette évolution. M. Mathieu, le Président du CC Nogent a longtemps demandé à ce que les DN disputent les Classe 1 de leur région. La Ligue, qui est aussi la puissance financière du cyclisme s'y est opposée. Les clubs ont l'impression de tourner en rond. Les directeurs sportifs des DN craignent de se faire prendre les coureurs Espoirs par les Conti. Il faut que les DN s'affirment et disent « un coureur qui passe pro, c'est une bouffée d'oxygène pour nous ».
« ON APPREND À ROULER VITE AVANT D’AVOIR 20 ANS »
Et quelles idées as-tu pour le cyclisme amateur en général ?
Je suis toujours étonné qu'il n'y ait pas des Etats généraux pour tracer un cadre, adapter les règlements, et renouvelés pour faire le point. Quand aura-t-on un Championnat de France contre-la-montre pour les Cadets ? Pourquoi avoir abandonné le Championnat de France des 100 km par équipes ? Michel Thèze (ancien entraîneur national de l'équipe du 100 km) m'avait dit : « le contre-la-montre c'est comme l'école. On passe d'abord par la 6e, la 5e, la 4e …. » On apprend à rouler vite avant d'avoir vingt ans.
De qui peuvent venir des idées ?
Il faut que les techniciens prennent à bras le corps les problèmes du vélo. Dans les équipes pro, les techniciens sont embauchés dans tous les domaines et font avancer ces équipes. Quand il était entraîneur national des Espoirs, Charly Bérard me disait : « On fait des rapports quand on part courir à l'étranger, mais jamais personne ne les lit ». Les entraîneurs nationaux sont trop dépendants du DTN.
Les plus belles actions ont été apportées par des initiatives locales. Le Challenge de l'Est a été créé car il n'y avait plus de coureurs. Ils ont rassemblé les coureurs dans une seule course dans l'Est. C'est le point de départ de l'Interrégion Cadets.
TOUJOURS LES MÊMES FRISSONS
En plus d'être journaliste, tu étais aussi dirigeant de club au CC Nogent-sur-Oise…
Le Président, M. Mathieu m'a connu quand j'écrivais au Parisien de l'Oise, avec Jean-Michel Rouet et Claude Droussent. J'y ai pris une licence en 2008. M. Mathieu me voyait bien dans un poste de dirigeant mais je refusais par peur qu'on dise que j'écrivais sur « mes » coureurs. J'en parle à Claude Droussent qui me dit sur le ton de la blague : « Ah bon ? Tu n'y étais pas encore licencié ? ». J'ai accepté l'offre de M. Mathieu mais je l'ai prévenu que je regarderai à deux fois avant de parler des coureurs de Nogent. Mais sans son insistance, je ne serais jamais devenu dirigeant.
Et maintenant, tu es devenu organisateur...
J'ai été vice-Président à Nogent puis j'ai arrêté puis je suis revenu en 2018 pour m'occuper des organisations. Et cette année, pour continuer d'organiser les Boucles de l'Oise Juniors, comme j'en avais fait la promesse à la famille d'Arnaud Coyot, je me retrouve Président d'un autre club.
Tu gardes la même passion pour le vélo ?
Je n'ai jamais su prendre le départ d'une course sans avoir les frissons, que ce soit une course Cadets ou un Championnat du Monde.