Anthony Jullien, le nouveau berger d’AG2R Citroën
Petit à petit, l’oiseau fait son nid. Anthony Jullien connaît très bien le proverbe et l’a parfaitement appliqué depuis ses plus jeunes années sur le vélo. Après avoir pris le temps d’apprendre le métier et de se construire dans les catégories de jeunes, le voilà prêt à définitivement prendre son envol dans le monde du cyclisme professionnel, avec la formation AG2R Citroën, au terme de sa quatrième et ultime saison chez les Espoirs (voir tous ses résultats ici). “Je pense qu’il est prêt. Il est maître de son avenir et il a toutes les armes pour réussir”, résume brièvement Clément Dupuy, qui l’a suivi ces dernières années en qualité de directeur sportif mais aussi d’entraîneur, au Chambéry CF. “Il a ce qu’il faut pour réussir. Il est polyvalent. C’est un profil à la Nans Peters, en un peu moins grimpeur. Il lit bien la course, il pilote bien son vélo et il a une bonne pointe de vitesse en cas d’arrivée en petit comité. C’est un parcours qui va presque à contre-courant de ce qui se fait maintenant, où l’on prend les coureurs de plus en plus tôt. Il a eu besoin d’un peu plus de temps que d’autres mais désormais, il est prêt”, insiste-t-il. De son côté, le principal intéressé n’a jamais paniqué en voyant les années passer, mais il a tout de même eu le temps de réaliser que le temps commençait à presser en 2020. “J’ai toujours pris mon temps pour gravir les échelons alors ça ne m’a pas trop inquiété. Mais c’est vrai qu’en France, on a le sentiment de ne plus avoir beaucoup de chance de pouvoir passer pro lorsqu’on quitte les rangs Espoirs. C’est statistique. Il valait donc mieux passer maintenant”, sourit l’athlète de 22 ans auprès de DirectVelo.
Le passage chez les pros, au niveau WorldTour, du coureur rhônalpin est la récompense d’un long et rigoureux processus entamé - après une pratique du football - en Minimes 1, à l’UC Pélussin (Loire), club historique qui a écrit ses lettres de noblesses au début des années 80 (lire ici). Un club au sein duquel il est resté jusqu’à la fin de ses années Juniors. Jean-Paul Brun témoigne. “La première fois qu’il a couru à Pélussin, lors d’un test, il n’était pas encore licencié. C’était une course à la carte, pour les Minimes. Et il avait gagné directement, même si les commissaires l’avaient déclassé pour une histoire de braquets qui n’étaient pas aux normes, s’amuse-t-il. On a vite senti qu’il avait quelque chose en plus. Il était très attentif au moindre détail. Il ne ratait pas un entraînement, il suivait ce qu’on lui disait à la lettre. Il en faisait même parfois plus que ce qui était demandé. C’était un garçon très appliqué et sérieux. C’est le genre de personnalité que l’on aimerait multiplier par dix dans un club (rires). Il fait preuve de modestie mais il sait ce qu’il veut, c’est une belle personne”, raconte celui qui a donc conseillé Anthony Jullien durant six saisons. Jean Paul-Brun se souvient d’une anecdote, lors de la préparation du Championnat de France Cadets de 2014, à Saint-Omer (Pas-de-Calais). “On voyait la différence avec les autres gars du club : on avait fait du derrière scooter et il fallait mettre le derny quasi à fond pour lui !”. Le Jour-J, il avait décroché la médaille d’argent, entouré sur le podium de Clément Betouigt-Suire, Champion de France, et de Tanguy Turgis, en bronze (voir classement).
SAGESSE ET PATIENCE, LES MAÎTRES MOTS
Comme Jean-Paul Brun, Dominique Garde a lui aussi bien connu Anthony Jullien par le passé, du côté du Pôle Espoir de Saint-Etienne. Il ne tarit pas non plus d’éloges sur son ancien protégé. “Il est calme, posé et réfléchi. Ce n’est pas un flambeur, il a la tête sur les épaules. Il est forcément passé par des moments de doute, comme tout le monde, mais il a tout donné pour réussir et passer pro. C’est un gros bosseur et un vrai passionné qui mérite ce qui lui arrive”. Cette modestie, couplée à une grande sagesse intellectuelle et à une belle lucidité, a servi le coureur. “Il savait qu’il n’allait pas tout exploser chez les jeunes. Ce qui comptait pour lui, c’était sans doute le long terme. Il s’est toujours entraîné comme un garçon de son âge malgré tout. Je lui ai souvent répété : « En Cadets, on s’entraîne comme un Cadet, pas comme un Junior ». Bien sûr, ça pouvait le frustrer, mais je lui ai répété qu’il avait une grosse marge de progression que certains autres n’auraient plus à terme. Et il l’a prouvé petit à petit. Sa patience a payé. Aujourd’hui, je sais qu’il a toujours ce conseil en tête car il a redit les mêmes choses aux jeunes du club lors d'une visio-conférence en 2020, en plein confinement”, se félicite Jean-Paul Brun, tout heureux de constater qu’Anthony Jullien a toujours eu une oreille attentive et qu’il garde en mémoire ses vieux conseils.
Mais Anthony Jullien n’est pas seulement un coureur patient et intelligent. C’est aussi un garçon qui fédère et qui s’est, à l’UC Pélussin puis au CCF, rapidement imposé comme un homme de confiance, voire comme un guide pour l’ensemble du groupe. “Quand il est là, tout le monde est meilleur. Ce n’est pas une qualité à proprement parler, un atout physique, mais c’est très important dans un groupe. Il bonifie le groupe, il a toujours été très écouté”, relate Clément Dupuy. Adolescent, déjà, il avait su se faire sa place à l’UC Pélussin. “C’est un meneur, assure Dominique Garde. Il n’a pas besoin d’hausser le ton pour qu’on l’écoute. Il a toujours fait le lien entre le staff et les autres coureurs. Tout le monde le suit naturellement. Ce n’est pas une grande gueule, il a simplement du charisme. Il a toujours été respecté grâce à sa rigueur et son sérieux. Il n’a pas toujours été le plus fort du groupe, ou le leader physique, mais il était à chaque fois un homme clé”.
UN FÉDÉRATEUR ET UN HOMME DE CONFIANCE
Ce tempérament, décrit par les différents hommes qui l’ont guidé chez les Juniors et les Espoirs, n’est pas sans rappeler celui de Nans Peters, là encore. Recordman de sélections en équipe de France Espoirs, notamment pour son aura et la grande confiance que lui accordait le sélectionneur national Pierre-Yves Chatelon, le vainqueur d’étape à Loudenvielle sur le dernier Tour de France a toujours été considéré, lui aussi, comme un leader naturel, capable de fédérer un groupe autour de lui. « Nans, le berger ». Anthony Jullien pourrait, lui aussi, devenir dans le futur ce coureur chargé de guider et de prendre soin du groupe, tel un berger veille sur son troupeau. Il connaît ce rôle depuis qu’il est… Espoir 2, au CCF. Car suite à sa première saison dans la catégorie U23, un gros turnover est intervenu à Chambéry et pas moins de sept nouveaux, débarqués des J2, sont arrivés dans le groupe. Un accélérateur de prise de responsabilités pour Anthony Jullien. “Aider et guider les autres est dans mon tempérament. Le fait qu’il y ait eu beaucoup de jeunes m’a incité à le faire encore plus tôt mais dans tous les cas, je crois que je l’aurais fait naturellement. J’ai pu développer des qualités de meneur, c’est un truc qui m’a toujours plu. Depuis gamin, même quand je faisais du foot… Je prenais le temps de replacer les autres sur le terrain etc. Je suis à l’aise avec ça”.
Clément Dupuy, entraîneur au CCF, confirme. “Il a vite fait le lien entre les générations, au milieu des Clément Champoussin ou Simon Verger. Il a mobilisé tout le monde”. Avant de détailler la façon de faire de son ancien coureur. “Il est assez discret et ne prend pas de place. Il se pose, il regarde, il écoute… Il a été à la bonne école avec des garçons comme Benoît Cosnefroy ou Aurélien Paret-Peintre. Lorsqu’ils sont partis du CCF pour rejoindre AG2R, il a naturellement pris la place et s’est imposé comme une sorte de représentant des coureurs, pour le staff. Il a régulièrement donné son avis et c’était toujours pertinent”. Benoît Cosnefroy, justement, a couru avec Anthony Jullien sur la première partie de saison 2017. Le premier allait passer pro, le second venait de débarquer au centre de formation. "Il mérite sa place, je suis très heureux de le voir chez les pros. Il est très posé et réfléchi. Déjà au CCF, c’est lui qui prenait les décisions pour le groupe. Il a toujours su faire la part des choses entre les moments de sérieux et les moments où l’on peut rire, car il en faut aussi. Il fédère le groupe". Le Ligérien a désormais rejoint le Normand dans la maison mère. "Je n’ai aucun doute sur le fait qu’il se fasse une belle place dans l’équipe. D’ailleurs, on le voit en ce moment lors de notre premier stage, il est déjà bien intégré".
ENCORE TROP TENDRE EN 2019
Parmi les objectifs qu’il s’est fixés, Anthony Jullien souhaite rentrer dès que possible dans le groupe des Classiques, tout particulièrement des Flandriennes. “Les Classiques sont les courses qui me font rêver. Elles me correspondent bien”. Après avoir appris à aimer ces courses si particulières dans les catégories de jeunes, son premier stage dans l’équipe alors nommée AG2R La Mondiale, à l’été 2019, a fini de le convaincre. “Ce stage m’a beaucoup rassuré à ce moment-là, c’était un vrai déclic. Je venais de terminer mes études peu avant. Je ne savais pas si je devais continuer avec un Masters ou me consacrer au vélo. J’en ai discuté avec Loïc (Varnet) et on en est venu à la conclusion qu’il fallait tenter le coup sur le vélo. J’ai réalisé que c’était ce que j’avais vraiment envie de faire. Puis j’ai pu enchaîner pas mal de jours de course en tant que stagiaire, notamment sur de belles Classiques, dans le groupe d’Oliver Naesen. J’imagine que ça a joué pour ma signature après coup car j’avais eu de bons retours. Les gars étaient contents de moi”. Mais pas question de le voir franchir le rubicon dès l’intersaison 2019-2020 pour autant. “En Espoir 3, il a été très bon à partir du mois de juin après un début de saison difficile. Il s’était questionné sur son avenir, sur ses études, sur le vélo… Puis à partir du moment où il a décidé de s’impliquer à 100% dans le cyclisme pour tenter de faire carrière, ça a très bien marché, détaille Clément Dupuy. On l’a vu en fin de saison 2019 mais ça méritait quand même encore confirmation en 2020”.
Anthony Jullien ne se sentait lui-même pas encore prêt à ce moment-là et confirme les dires de son directeur sportif et entraîneur. “Je n’avais pas été bon en début de saison et je savais aussi qu’il n’y aurait pas beaucoup de places chez AG2R pour 2020, sachant que Clément (Champoussin) avait déjà signé. Je savais ce qu’il me restait à faire en Espoir 4 pour passer l’année suivante”. Et même si la Covid est passée par là et a largement perturbé l’exercice 2020, le garçon ne s’est jamais découragé et n’a nullement dévié de sa trajectoire initiale. “J’ai été assez régulier même si je n’ai pas fait de coups d’éclat, contrairement à la saison 2019. J’ai sûrement convaincu les dirigeants de façon plus globale, sur tout ce que j’ai démontré en quatre saisons au CCF”. Clément Dupuy a apprécié le comportement de son coureur malgré des temps difficiles et stressants. “Il est toujours resté patient, positif et serein. Il ne s’est jamais énervé, il n’a pas commis d’erreurs alors qu’il aurait pu paniquer. Et on a senti que, cette fois, il était prêt”. Il peut donc désormais rêver de disputer les plus belles courses du Monde, dont les fameuses Flandriennes qu’il a particulièrement hâte de découvrir. “Il ne sera pas évident de rentrer tout de suite dans le groupe pour les Classiques car il y aura du lourd autour de Greg Van Avermaet et d’Oliver Naesen. Mais c’est un objectif à terme”, insiste-t-il.
ÉQUIPIER MODÈLE OU ÂME DE LEADER ?
Au-delà des potentielles Classiques, quel avenir pourrait attendre Anthony Jullien chez les pros ? Est-il amené à devenir un équipier modèle, ce fameux berger qui guide un groupe ? Ou peut-il, comme l’a déjà fait Nans Peters ces dernières saisons, se révéler être un atout majeur pour faire de gros coups personnels également ? “C’est un gentil garçon, mais il a quand même du caractère. Ce n’est pas incompatible et il arrivera à se faire une place, je l’espère”, résume Jean-Paul Brun. Clément Dupuy cite une nouvelle fois la double expérience de stagiaire pro d’Anthony Jullien pour illustrer sa pensée : “Son travail avait déjà été apprécié à ce moment-là. Chez les pros, tout le monde a vite vu qu’Anthony est quelqu’un de fiable, qui sait répondre présent. Il fera bien son travail, c’est sûr. Et s’il a des opportunités personnelles, il les saisira”. Dominique Garde va dans le même sens au moment de se prêter au jeu des projections. “Je sais qu’il est largement capable de s’adapter au monde pro. Ce n’est pas le genre de personne à se décourager au premier problème. Il s’imposera, naturellement”.
Pour réussir, Anthony Jullien a, en tout cas, choisi la stabilité. Il s’est récemment installé dans un nouvel appartement à… Chambéry. Histoire de conserver le même environnement que lors de ses quatre dernières saisons passées au CCF. Il partage ainsi régulièrement ses sorties d’entraînement avec Benoît Cosnefroy, Julien Duval, Aurélien Paret-Peintre ou Nicolas Prodhomme. “J’ai toujours habité dans la région, entre Saint-Etienne et Lyon. Pour moi, rester sur Chambéry était une évidence. J’ai pris mes habitudes ici et je m’y sens bien. Je peux rouler avec les copains et les terrains de jeu sont nombreux à l’entraînement”. Il lui reste désormais peut-être le plus dur : se faire une place dans le collectif d’une WorldTeam. Mais Anthony Jullien s’en sent capable. “Lorsqu’il a fallu prendre un rôle de leader au CCF, j’ai su le faire, notamment sur la SportBreizh, ou même avec le comité régional lors du Championnat de France (2e chez les Espoirs en 2019, derrière Théo Delacroix, voir classement). Je compte miser à la fois sur mes qualités physiques et humaines pour me faire une place dans le groupe. Si je progresse comme je l’espère, alors pourquoi ne pas prendre plus de place dans le groupe au fur et à mesure. Mais je vais avant tout penser au collectif, comme je l’ai toujours fait. Le reste viendra s’il doit venir”.
Crédit photo : Vincent Curutchet