Thibaut Pinot : « Je vous dis merci »
C’est au bout de la via Roma, située dans la partie basse de Bergame, que Thibaut Pinot en a terminé avec sa carrière de coureur cycliste professionnel longue de quatorze saisons. “Ça y est, c'est fini, lâche-t-il comme premiers mots à la nuée de journalistes présents. C'était un truc de fou. C'était magnifique à vivre”. Malade il y a quinze jours au Tour de Luxembourg, il s’interrogeait depuis sur ses facultés à finir sa dernière course. “Je ne regrette pas d'être venu”.
« DE LA CHALEUR HUMAINE »
Si Tadej Pogacar s’est offert un troisième Tour de Lombardie de rang et qu’ils étaient encore en nombre à l’attendre au pied du bus de la UAE Team Emirates plus d’une heure et demi après l’arrivée, Thibaut Pinot n’avait aucun concurrent à l’applaudimètre tout au long de ce samedi ensoleillé dans le nord de l'Italie. Ils étaient nombreux à avoir traversé la frontière, notamment pour se mettre dans la dernière bosse de la journée, le Colle Aperto, où se sont réunis ses plus bruyants supporters. “On nous a dit qu’on était 350 tout à l’heure, là on doit être au moins 1000”, imagine un supporter venu de la Drôme, qui a fait du covoiturage à partir de Chambéry (Savoie) avec un autre amoureux de Thibaut Pinot.
Comme eux, la quasi-totalité des fans du Franc-Comtois découvraient l’épreuve, pourtant située à trois heures avec la frontière savoyarde ou haut-savoyarde. Dans la curva Pinot, qui en réalité prenait bien plus qu’un virage, il y avait aussi des licenciés de l’AC Bisontine et du CC Etupes, ses anciens clubs, et bien sûr les plus proches dont sa compagne Charlotte, sa sœur Marine, et sa mère. “Je préférais être dans le virage qu’à l’arrivée, il y a tellement de chaleur humaine ici”, confie Marie-Jeanne Pinot. Son mari, Régis, a préféré voir son fils passer la ligne d’arrivée. “Je suis monté là-haut, j'ai vu l'ambiance, mais l'arrivée était la dernière, le voir passer la ligne… Comme ce matin où il mettait le dossard pour la dernière fois”.
La ligne, Thibaut Pinot l’a passée près de neuf minutes après Tadej Pogacar. Il l’a franchie en compagnie des fidèles Rudy Molard et Quentin Pacher. “C'est un beau symbole. C'est ce que je retiens aujourd'hui”, apprécie leur leader. Valentin Madouas, arrivé un peu plus tôt, est forcément resté pour l’attendre. “Il faut le respecter, il a fait une carrière magnifique”.
« LÀ, C'ÉTAIT LES VRAIS »
Tout au long de ce samedi, Thibaut Pinot a “essayé d'en profiter un maximum même si ça a été dur”. Il n’y avait rien de vraiment normal pour cette dernière journée sur un vélo. Au départ, il a appris après avoir signé que RCS lui avait offert une chèvre. “Elle est à la maison depuis une semaine mais il ne le savait pas. Nous sommes allés la chercher dans la Drôme”, raconte son père. Pendant la course, ils ont été nombreux à venir le saluer. “Beaucoup de coureurs m'ont félicité, ça me surprend toujours car je suis dans le peloton comme dans la vie, assez timide et sauvage. C'est dommage de ne pas avoir tissé assez de liens avec des coureurs, car il y a des mecs qui en valent la peine”.
Comme lui, répondraient ceux qui ont animé le Colle Aperto où l’ambiance était folle avant et bien sûr pendant le passage du Haut-Saônois. “Certaines vidéos seront sans doute assez incroyables. C'était la folie. Ce sont des ambiances que j'aime bien. Il fallait ralentir parce qu'il n'y avait pas beaucoup de place, c'était incroyable”, savoure le coureur passionné par la culture Ultra et régulièrement présent dans la tribune Auteuil au Parc des Princes. “Là, c’était les vrais”, glisse-t-il pour reprendre une expression utilisée par les Ultras pour désigner ceux qui voyagent loin de la maison pour soutenir leur équipe chaque week-end.
Au milieu de la foule, Marie-Jeanne Pinot n’en a pas raté une miette. “Thibaut a dû poser pied à terre… Ce que j'ai trouvé chouette, c'est son sourire. C'est la dernière... Je me suis dit qu'il avait l'air heureux, il savoure même s'il n'est pas dans les premiers”.
« JE NE SAIS PAS SI JE MÉRITE TOUT ÇA »
Ses supporters ont fait à pied le court chemin entre le Colle Aperto et la zone des bus pour crier leur amour une toute dernière fois. La folie s’est vite emparée de l'endroit. Après un nouveau chambrage pour la Jumbo-Visma garée à côté - “et pour Jumbo une petite bière” -, tout le monde s’est agglutiné au plus près de la porte arrière du bus de la Groupama-FDJ. Thibaut Pinot ne les a pas fait attendre très longtemps pour les rejoindre. Pendant quelques minutes tout y est passé. Tout d’abord, les chants à la gloire de chacun de ses six coéquipiers présents, puis pour les fidèles Matthieu Ladagnous, Antoine Duchesne, Steve Morabito et William Bonnet, sans oublier Marc Madiot et Julien Pinot.
Puis Thibaut Pinot est monté sur la glacière qui faisait office d’estrade pour faire un discours dans un mégaphone. “Je viens vous dire merci, je ne suis pas Champion du monde mais Champion du monde des supporters. Aucun coureur n'est capable de dire qu'il a un groupe de supporters comme celui-là. Je ne sais pas si je mérite tout ça... Vous avez été là pendant 14 ans, vous ne m'avez jamais lâché. Dans les bons comme dans les mauvais moments, on était toujours ensemble. On a vécu des derniers mois intenses, c'était encore assez fou aujourd'hui. Je vous dis merci, et j'espère que le virage Pinot va continuer. On se donne rendez-vous sur le Tour l'an prochain, je serai là avec vous”.
Pendant que ses fans étaient appelés à faire un peu de place, il s’est confié une dernière fois à la presse avant de prendre un nouveau bain de foule où il a enchaîné les signatures et les selfies. La suite sera plus confidentielle. Sa compagne et son frère, Julien, ont privatisé un restaurant sans en dire plus à l’ensemble des invités. “Personne ne sait où c’est, c’est une surprise”, confie son père. Il pourra enfin s’entretenir avec son fils qui a fait déplacer en Italie des centaines de personnes. “Je vais lui dire de bien profiter”. Loin des projecteurs, cette fois. “On a tellement été sollicités pendant la semaine, c'est beaucoup de souvenirs. C'est 27 ans de vélo. Il a commencé à 6 ans, je me rappelle encore de sa première course, ça fait remonter plein de souvenirs”. Et cette dernière journée aura sans doute une grande place dans la mémoire de Thibaut Pinot.