Eglantine Rayer : « Les moments durs sont tellement longs… »

Crédit photo Aurelien Regnoult - DirectVelo

Crédit photo Aurelien Regnoult - DirectVelo

Exténuée, le dos en vrac et surtout tellement heureuse, Eglantine Rayer aurait pu rester pendant des heures sur le banc qu’elle a trouvé 200 mètres après la ligne d’arrivée de la deuxième étape du Tour de l’Avenir Femmes. La joie partagée avec ses coéquipières, les selfies avec les spectateurs italiens sensibles à ses larmes, son paquet de fraises Tagada et le bonheur de raconter son succès, la Normande voulait profiter de chaque seconde. Puis la pensionnaire de l’équipe de France a été appelée à la cérémonie protocolaire où elle a pris un bain de foule après sa victoire à Condove (Piémont), grâce à une fugue en solitaire de 80 kilomètres (voir classement). Entretien avec l’ancienne Championne d’Europe Juniors, qui a mis fin ce vendredi à des mois de galère.

DirectVelo : Tu t’imposes après 80 kilomètres en solitaire !
Eglantine Rayer : Je ne réalise pas. Je suis partie toute seule dans une descente et j’ai pris un peu de temps. Je me suis dit : « je vais jusqu’au pied du Mont-Cenis, et après je vais me faire rattraper ». J’ai calculé par rapport au temps que j’avais perdu hier (jeudi) dans l’ascension vers Les Karellis pour prendre de l’avance pour aller au pied de l’ascension. J’ai vu que j’avais encore de l’avance donc je me suis dit : « bon, je vais aller jusqu’à la moitié ». Je cherchais mes parents, je savais qu’ils étaient dans l’ascension. Arrivée à la moitié du Mont-Cenis, j’ai vu que j’avais de l’avance donc je me suis dit : « Je vais aller chercher mes parents. C’est cool, ils m’auront vue devant ».

« JE N’Y CROIS PAS DU TOUT »

Et tu fais la très spectaculaire descente du Mont-Cenis toute seule en tête…
Elle est interminable ! Dans la descente, je pensais à ma famille qui devait être en panique, surtout ma mère et ma grand-mère. Je pensais à Emilian (Broë, le sélectionneur national, NDLR) qui me donnait des conseils en Juniors mais je n’y arrivais pas. Je pensais aussi à mon permis moto, je pense que ça m’a aidée, j’ai eu mon plateau du premier coup.

Mais c’est toi qui avais un moteur aujourd’hui !
J’aurais bien aimé pour la partie plate, c’était trop long (sourires). À 10 kilomètres de l’arrivée, je n’avais vraiment plus rien. Ça s’est vu, j’ai perdu une minute très rapidement. J’étais vraiment vide. Quand j’ai vu le panneau 5 kilomètres, je me suis dit : « 5 kilomètres, c’est quoi dans une vie ? Dans une saison de merde comme ça ? ». J’étais vraiment vide à 10 kilomètres de l’arrivée, j’avais mal au dos et plus rien dans les jambes. J’étais out. J’ai dit à Emilian (Broë) que ça n’allait pas le faire. Dans ma tête, j’étais complètement débile (rires), je me suis dit "au pire si je me fais reprendre, je vais essayer de faire le sprint". À 5 kilomètres de l’arrivée, je me suis dit « plus tu vas aller vite, mieux ça va passer », j’en ai remis et c’est allé au bout. Il faut changer cette ligne droite d’arrivée, c’était trop long et avec trop de vent. C’est pour ça que je n’y croyais pas. J’étais seule quand un contre est sorti, et je me suis dit « peut-être que si elle rentre sur moi on pourrait faire le sprint à la fin », mais j’ai juste tout donné jusqu’à la ligne. Je n’y crois pas du tout.

Que représente ce succès ?
Je dois tellement aux gens qui ont cru en moi. C’est une phrase tellement bateau, mais c’est vrai. Celle-là elle est aussi pour mon papy, il n’a rien vu de tout ça, il a juste vu mon premier titre de Championne de Normandie. Depuis, j’ai fait du chemin et j’ai eu de grosses galères mentalement. Merci à tous ceux qui ont cru en moi, même plus que moi même si ce n’est pas difficile (rires). À la fin, je pensais à ma famille, à mon papy, je le porte toujours sur mon collier. Sur le plat, le collier est venu me taper, ça n’arrive jamais. La seule fois, c'était sur mon premier Championnat de France chrono, j’avais senti une force. Je suis persuadée qu’il était là et qu’il me suit à chaque fois et qu’il serait super fier.

« JE N’AVAIS JAMAIS ÉTÉ AUSSI NULLE SUR UN VÉLO »

En l’espace de 48 heures, tu passes par toutes les émotions…
Après le chrono, je me suis mise par terre. Je n’avais jamais été aussi nulle sur un vélo. Mon frère est arrivé et j’ai pleuré de tristesse, ça doit être la troisième fois de ma vie que je pleure de tristesse. C’était quand j’ai perdu mon papy et mon chat, et là parce que j’avais l’impression d’avoir perdu le vélo. Mon frère a eu les bons mots. Il est toujours là, aujourd’hui il travaillait donc il n’était pas là. Il a regardé tous les directs possibles, je pense. Jusqu'à hier, je n’étais vraiment pas bien. Ce n’est pas un sport facile. J’ai eu une grosse carence de confiance en moi, on n’en parle pas assez mais c’est franchement super difficile à vivre. Je suis tellement bien entourée. Tous les gens vont se reconnaître, ceux qui m’ont envoyé des messages hier jusque tard car je n’arrivais pas à dormir parce que je ne me sentais pas bien. Merci à mon agent qui m’a envoyé des messages incroyables. Mes parents que j’ai toujours peur de décevoir même si je sais qu’au final ce seront toujours mes parents et qu’ils s’en fichent du vélo. Ils m’ont envoyé des messages extraordinaires hier soir. 

Ça a été dur depuis ton arrivée chez les pros…
La première année, j’ai senti que j’avais progressé. Cette année, je n’ai pas eu beaucoup de jours de course avec une opération du pied en milieu d’année. J’ai eu du mal à trouver mon bonheur sur le vélo. À des moments, je ne m’y retrouvais plus. On a eu un super brief avec Emilian (Broë), où je lui ai fait comprendre que je n’arrivais pas très en forme et que je voulais juste retrouver le bonheur du vélo, le vélo que j’aime, celui pour lequel j’ai commencé parce que c’est ma passion à la base. Je remercie Emilian d’avoir cru en moi, alors que j’avais l’impression que je n’avais rien pour réussir.

Tu aurais pu arrêter le vélo ces derniers mois ?
Ça m’a traversé l’esprit parce que je ne me sentais pas à ma place. On m’attendait tellement, en Juniors j’ai presque tout gagné à part le Championnat du Monde (où elle avait fini 2e en Australie, NDLR). On ne profite jamais assez quand on est en bonne santé. Les moments durs sont tellement longs qu’il faut en profiter quand on est en pleine santé. Je vais profiter à fond, je vais voir mes parents, boire une coupe de Champagne parce que je crois que je n’en ai plus rien à faire (rires). Je suis juste heureuse, je mange des Tagada sur un banc en Italie, c’est beau.

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