L’Alpe d’Huez, le plein d’émotions

Crédit photo A.S.O / Charly Lopez

Crédit photo A.S.O / Charly Lopez

Bien sûr, il n’y avait “que” sept jours de course et il est impossible de comparer avec l’historique du Tour de France masculin. Bien sûr encore, les autres étapes de la semaine - y compris celle de samedi - ne favorisaient pas obligatoirement une grosse sélection et des écarts importants. Bien sûr enfin, les organisateurs d’A.S.O avaient dessiné ce parcours avec l’idée que l’épreuve se joue le dernier jour, dans les lacets de l’Alpe d’Huez. Il n’empêche que le scénario de cette ultime étape a dépassé les espoirs les plus fous des adeptes des thrillers aussi excitants que renversants. Sous la flamme rouge du dernier kilomètre et même jusque dans la dernière ligne droite, trois filles pouvaient encore rêver de remporter le Tour de France. Et c’est finalement Kasia Niewiadoma, en jaune mais un temps en bien mauvaise posture dans le Glandon puis dans l’Alpe d’Huez, qui l’emporte pour… quatre secondes devant Demi Vollering, tandis que Pauliena Rooijakkers complète le podium final à dix secondes.

“C’était les montagnes russes toute la journée, l’étape était folle. Dans le Glandon, j’ai vraiment passé un sale quart d’heure… C’était aussi dur physiquement que mentalement à ce moment-là”, concède après coup la lauréate de ce Tour de France Femmes 2024. Demi Vollering, tenante du titre et grande favorite avant le grand départ lundi dernier, a mené la vie dure à la Polonaise jusqu’au bout. Avec 1’15” de retard au général à la suite de sa chute jeudi, la Néerlandaise a fait le choix d’attaquer de loin pour essayer de renverser la table. “Je me doutais qu’elle attaquerait là. Il y avait une portion avec un fort pourcentage dans les trois derniers kilomètres du Glandon et je n’ai pas été surprise qu’elle en mette une à cet endroit-là”, explique Pauliena Rooijakkers en zone mixte.

TROIS COMBATS DE FRONT POUR DEMI VOLLERING

La Néerlandaise de l’équipe Fenix-Deceuninck a été la seule à pouvoir suivre l’attaque de Demi Vollering. Cette dernière a ainsi eu trois combats à mener dans l’Alpe d’Huez : celui, à distance, face à Kasia Niewiadoma, un autre plus direct contre Pauliena Rooijakkers - celle des deux qui finissait devant l’autre sur la ligne d’arrivée terminait également devant au général final - et un dernier combat, peut-être même le plus dur, face à elle-même et ses douleurs dorsales. “J’avais les écarts avec Kasia, je me battais pour la distancer mais je devais aussi m’occuper de Pauliena car il ne fallait pas qu’elle me batte sinon, elle gagnait le Tour aussi. J’ai essayé de faire tout ce que j’ai pu, je me suis battue à fond mais j’ai vraiment eu mal au dos dans la montée. C’était très douloureux. C’était d’abord une bataille contre moi-même, clairement”, a-t-elle confirmé par deux fois, en pleurs, en interview d’après-course puis en conférence de presse, une bonne heure plus tard.

Des larmes, des larmes et encore des larmes, de peine pour l’une, de joie pour l’autre, sillonnaient sur les joues de Demi Vollering et de Kasia Niewiadoma dans la zone d’arrivée. “L’écart a grandi, puis il a baissé. Je savais qu’il allait falloir se battre jusqu’au bout”, reprend la sociétaire de la SD Worx-Protime. “Perdre pour quatre secondes, c’est vraiment dur. Quand je pense que le maillot jaune était solidement sur mes épaules avant cette stupide chute en milieu de semaine…”. Difficile en effet de ne pas avoir de gros regrets dans ces conditions pour celle qui se console tout de même (légèrement) en l'emportant à l’Alpe d’Huez en étant pourtant diminuée physiquement. Ce qui n’enlève rien au succès de Kasia Niewiadoma, qui a tenu à plusieurs fois rappeler qu’elle a, elle aussi, souvent mangé son pain noir. “En cyclisme, tu passes forcément par ces moments-là. Aux J.O, j’ai été bloquée par une chute et j’ai dû chasser sans ne jamais pouvoir rentrer alors que j’étais en jambes… Je n’ai pas pu totalement défendre mes chances ce jour-là. Je suis passée à côté de tellement de victoires à cause de différents problèmes durant toute ma carrière… Cette fois-ci, c’était pour moi. Toutes les planètes étaient alignées”.

KASIA NIEWIADOMA, LE DÉCLIC EN GRAVEL

Pourtant, l’athlète de la Canyon//SRAM Racing a eu le temps de se voir perdre le Tour tant dans le Glandon que dans l’Alpe d’Huez. “Avant même qu’elle (Demi Vollering) n’attaque, je sentais que ça n’allait pas. Il a fallu essayer de rester calme et prendre le temps de boire, manger… Heureusement, j’ai pu me refaire la cerise dans la descente, notamment grâce aux filles de la Lidl-Trek que je dois remercier. On a pu se rapprocher un peu puis dans l’Alpe d’Huez, je savais qu’il fallait que je gère ma montée intelligemment. Il y a eu un moment donné où j’ai cru que ça n’allait pas le faire… Mais je n’ai jamais lâché et ça a tourné du bon côté. Merci à Dieu ! Il ne m'a pas lâché. Je savais qu'il y avait un sens à tous ces échecs passés. C'était pour que la victoire soit encore plus belle aujourd'hui”.

Déchue pour un écart infime, Demi Vollering aura bien le temps de repenser à sa perte du maillot jaune sur les routes d’Amneville, encore et encore. “Si je m’étais relevée un peu plus vite après la chute, si j'avais mis moins de temps pour reprendre la route... Et puis, si j’avais attaqué plus tôt hier (samedi) aussi… Il y a tellement de « si » potentiels. Je n’ai pas envie de trop ressasser tous ces « si », ça va me rendre triste”, admet-elle avant de fondre en larmes. Puis de reprendre : “je pense pouvoir être fière de la façon dont j’ai couru aujourd’hui”. La fierté est un mot qui revient également dans la bouche de Kasia Niewiadoma, le sourire jusqu’aux oreilles en bonus. “On a écrit l’histoire cette semaine avec l’équipe et on peut en être fières. Franchement, c’est fou ! Je vais avoir besoin de temps pour réaliser. Gagner le Tour est un rêve qui devient réalité”, s’extasie celle qui considère que son sacre Mondial en Gravel, en fin d’année dernière en Vénétie, a été la première pierre de cet édifice jaune. “Lâcher Demi ce jour-là a été un véritable déclic. J’avais besoin de reprendre confiance en moi et c’était chose faite ce jour-là”. Là voilà désormais sur le toit du monde du cyclisme féminin. Avec la plus petite des marges, pour le plus grand des bonheurs.

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